dimanche 10 avril 2011

Relations polono-lituaniennes : peut-on faire pire ? (1)


C’est un euphémisme de dire qu’actuellement les relations entre la Lituanie et la Pologne sont tout sauf cordiales. Certes, ce n’est pas nouveau puisque cet état de fait date du XIVe siècle pour atteindre son apogée en 1920 ! Mais ces relations, déjà qualifiées de « pire en Europe » par le magazine European Voice, peuvent-elles encore se dégrader ?

Dans ce premier post, on trouvera une évocation des raisons historiques qui ont conduit à ce désamour, pour ne pas dire à cette haine, actuel.

Dès le XIIIe siècle, la Lituanie était un Etat uni qui, bloqué à l’ouest par les Ordres germaniques qui occupaient la Prusse et la Livonie, se développa vers l’est et le sud, notamment sous le Grand-duc Gediminas, profitant de l’affaiblissement de la Rus’ de Kiev. Afin de lutter contre les menaces extérieures, la Lituanie et la Pologne signent l’Union de Krėva le 14 Aout 1385 (ci-dessous).

Ce qui était avant tout un accord en vue du mariage entre le grand-duc Jogaila de Lituanie (23 ans) avec la reine Jadwiga de Pologne (11-12 ans !), s’assortissant de la conversion au christianisme du premier, contenait en son sein un mot qui empoisonne encore les relations polono-lituanienne 626 ans plus tard. En effet, le mot latin applicare, décrivant les relations futures entre le Grand-duché de Lituanie et le Royaume de Pologne, a fait l’objet d’interprétations différentes suivant les Etats. Pour les Polonais, la Lituanie devenait purement et simplement un fief, voire une province de la Pologne, perdant ainsi son statut d’Etat souverain. Pour la Lituanie, il ne s’agissait au contraire que d’une union personnelle, les deux Etats n’étant liés que par un souverain commun.

En tout état de cause, l’Union de Krėva faut amendée par l’Union de Vilnius et Radom (1401), qui accorde une plus grande autonomie au Grand-duché de Lituanie et qui consacre Vytautas comme Grand-duc de Lituanie.

Deux siècles plus tard, la Lituanie étant menacée dans ses guerres (notamment la guerre de Livonie) contre la Russie moscovite, elle signe l’Union de Lublin (1er Juillet 1569 - ci-dessus) avec la Pologne. La Pologne offrait son aide à la Lituanie, mais y gagnait des contreparties territoriales, notamment des terres ruthènes. L’Union devait créer des liens étroits entre la Lituanie et la Pologne au sein de la République des Deux Nations (Rzeczpospolita Obojga Narodów en Polonais, Abiejų tautų respublika en Lituanien), mais ces liens furent distendus par les Statuts de Lituanie successifs. La noblesse polonaise considérait ces statuts comme inconstitutionnels, mais ceux-ci déclaraient de leur côté les lois de l’Union inconstitutionnelles ! Il n’empêche que, à cette occasion, les noblesses lituaniennes et ruthènes se polonisèrent.

Le stade suivant, alors que la République des Deux Nations sombrait peu à peu dans l’anarchie, fut la Constitution du 3 Mai 1791, octroyée par le Roi Stanisław August Poniatowski. C’est le seul acte qui consacrait la réunion de la Pologne et de la Lituanie en un seul Etat. Mais, outre qu’elle ne fut pas ratifiée par la noblesse lituanienne, elle n’eut pas le temps d’être appliquée en raison des trois partages de la Pologne-Lituanie (1772, 1793 et 1795).

A l’issue de la Première Guerre mondiale, le Traité de Versailles (28 Juin 1919) permit la renaissance de la Pologne sur la base du Royaume dit du Congrès (Congrès de Vienne de 1815), alors qu’il ne fixait pas le statut des territoires lituaniens. En Octobre 1920, le général polonais prétendument rebelle Lucjan Żeligowski (ci-dessous), agissant en fait avec l’accord du maréchal Józef Piłsudski, envahit et annexa la partie orientale de la Lituanie, au mépris des injonctions de la Société Des Nations. La constitution d’une pseudo République de Lituanie centrale, finalement annexée par la Pologne en 1922 jusqu’en 1940 pèse encore très lourd dans les relations polono-lituanienne actuelle.

Car aujourd’hui la Pologne est atteinte du syndrome des Etats jadis puissants et étendus, catégorie dans laquelle on peut, entre autres, ranger la Hongrie et la Serbie, et qui n’arrivent pas s’habituer à l’idée qu’ils jouent désormais en deuxième division.

L’état des relations actuelles entre la Pologne et la Lituanie fera très bientôt l’objet d’un second post.



3 commentaires:

  1. Un très bon article. Mais il faut y apporter une petite précision. En 1918 avec la naissance d'un Etat(d'abord royaume en devenir et puis finalement une république) nationaliste marque clairement la divorce entre la noblesse et le peuple. Cette division étant consommée toute union avec la Pologne devenait illusoire et ne pouvait plus passer que par les armes.

    RépondreSupprimer
  2. Je crois qu'une grande partie de la noblesse lituanienne, même polonisée, a toujours défendu le particularisme lituanien.

    Qu'on se souvienne par exemple qu'Adam Mickiewicz (Adomas Mickevičius), que Wikipédia en Français traite de poète et écrivain polonais, commence Pan Tadeusz par "O ma Lituanie ! Ainsi que la santé seul qui te perd connaît ton prix et ta beauté. Je vois et vais décrire aujourd'hui tous tes charmes, ma Patrie! ...."

    Je ne suis pas sûr qu'au cours des siècles, à part quelques familles, beaucoup de Lituaniens, y compris nobles, aient voulu leur disparition dans un ensemble polonais.

    RépondreSupprimer
  3. Je ne parlais pas de disparition. Mais ils arrivaient de s'en accommoder plus ou moins. Les nationalistes des temps modernes ne s'accommodent de rien du tout.

    RépondreSupprimer