mercredi 31 juillet 2019

31 juillet 1991 : l'URSS assassine encore à Medininkai (Lituanie)



Le 11 mars 1990, la Lituanie proclamait son retour à l’indépendance, après 50 ans d’occupation soviétique. L’Union soviétique n’acceptant pas cette indépendance, elle va essayer de faire plier la jeune démocratie lituanienne en imposant, d’avril à juin 1990, un blocus économique. Puis elle envoie ses OMON (ОТРЯД МИЛИЦИИ ОСОБОГО НАЗНАЧЕНИЯ = Police des Forces Spéciales) attaquer, entre autres, les postes frontières qu’elle considère comme illégaux.

A la suite de l’attaque de la tour de télévision de Vilnius par les OMON, du 11 au 13 janvier 1991, au cours de laquelle 14 civils sont tués, les troupes soviétiques attaquent et brûlent les postes frontières de Medininkai et Lavoriškės le 27 janvier 1991. Déjà, le 19 mai 1991, un Officier des gardes frontières, Gintaras Žagunis, est tué.

C’est le 31 juillet 1991, à 4 heures du matin, qu’a lieu le massacre du poste frontière de Medininkai. Un groupe d’OMON venu de Riga fait prisonnier les sept agents des douanes (non armés) et policiers et les exécute d’une balle à la base de la nuque alors qu’ils sont ligotés au sol.



Les sept victimes sont :
Mindaugas Balavakas
Algimantas Juozakas
Juozas Janonis
Algirdas Kazlauskas
Antanas Musteikis
Stanislovas Orlavičius
Ričardas Rabavičius

Un douanier, Tomas Šernas (ci-dessous), survivra miraculeusement mais restera sévèrement handicapé, cloué à vie dans une chaise roulante. Depuis, il assiste à toutes les cérémonies commémoratives. A l’époque, il était biologiste au zoo de Kaunas et il s’était dit qu’il devait faire quelque chose pour son pays nouvellement indépendant. C’est ainsi qu’il s’était porté volontaire comme agent des douanes, ce qui était également le cas des autres victimes. Il est aujourd’hui pasteur de l’Église Réformée à Vilnius.

Tomas Šernas


Cette affaire empoisonne toujours les relations entre la Lituanie et la Russie. Un seul des auteurs de l’assassinat (ainsi qualifié car la préméditation a été retenue), Konstantin Mikhailov, a été arrêté en 2008 et pu être jugé et condamné à la prison à vie. Les autres, et notamment le chef du détachement OMON, Cheslav Mlynik, étant citoyens russes, la Russie refuse de les extrader, argumentant que ça violerait la Constitution russe.

L’ancien poste frontière de Medininkai est devenu un mémorial, à 100 mètres du poste de douane actuel avec le Bélarus. S’il n’est pas ouvert, la clé peut être empruntée au poste de douane. Les 7 victimes sont enterrées au cimetière d’Antakalnis à Vilnius. Les OMON existent toujours et se sont encore récemment « illustrés » en Tchétchénie (1994-1996 et 1999-2000) et en Géorgie (2008).

Cérémonie à Antakalnis


vendredi 26 juillet 2019

M. Nerijus Aleksiejūnas, futur ambassadeur de Lituanie en France




Hier, jeudi 25 juillet 2019, le Président Gitanas Nausėda a remis leurs lettres de créances à trois futurs ambassadeurs de Lituanie, en Arménie, en Israël et en France.

L'ancien conseiller de la Présidente Dalia Grybauskaitė, M. Nerijus Aleksiejūnas, sera donc le futur ambassadeur de Lituanie en France, en remplacement de M. Dalius Čekuolis, qui était en poste depuis le 5 août 2014.

Lors de son entretien avec M. Aleksiejūnas, le Président Nausėda a mis l'accent sur le fait que le partenariat stratégique de la Lituanie avec la France devait devenir une réalité, en renforçant la coopération bilatérale en particulier dans les domaines de la sécurité et de l'économie.

L'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire Nerijus Aleksiejūnas était conseiller de la Présidente Grybauskaitė depuis 2015. Il avait été auparavant directeur adjoint du département Union Européenne au Ministère lituanien des Affaires Étrangères. Il parle anglais, français, russe et espagnol.

Clin d’œil : c'est un ancien élève du KTU Gimnazija (Lycée de l'Université Technologique de Kaunas)




mardi 23 juillet 2019

23 juillet 1940 : la déclaration Welles



Benjamin Sumner Welles serait peut-être resté un obscur diplomate américain si, le 23 juillet 1940, Secrétaire d’État (= Ministre des Affaires Étrangères) par intérim, il n’avait signé ce qui est resté dans l’histoire comme la déclaration Welles. Revenons sur les faits et leur contexte.

Il faut d’abord évoquer la Doctrine Stimson. Du nom de Henry L. Stimson, Secrétaire d’État de 1929 à 1933, auteur d’une note du 7 janvier 1932, cette doctrine stipulait que le gouvernement fédéral des États-Unis ne reconnaissait pas les changements territoriaux qui avaient été imposés l Cette note visait d’abord l’invasion japonaise de la Mandchourie, survenue fin 1931.

C’est cette doctrine qui est invoquée le 23 juillet 1940 par le Sous-secrétaire d’État Sumner Welles dans sa note annonçant la non-reconnaissance par les États-Unis de l’annexion des États baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie.

On rappellera que les États-Unis avaient reconnu pleinement l’indépendance de jure des trois États baltes le 26 juillet 1922. Mais ils menaient globalement une politique de neutralité et de non-intervention, le Président Franklin D. Roosevelt ne souhaitant pas mener le pays à la guerre.

Les choses allaient changer avec les protocoles secrets du Pacte Molotov – Ribbentrop (23 août 1939), qui ne seront révélés qu’en 1945, par lesquels les deux puissances totalitaires se partageaient les États baltes, l’Estonie et la Lettonie tombant dans la sphère d’influence de l’Union soviétique, la Lituanie, initialement, dans celle de l’Allemagne nazie (un protocole additionnel de septembre 1939 la fera tomber, elle aussi, dans la sphère d’influence de l’URSS).

Fin 1939 – début 1940, l’Union soviétique émit une série d’ultimatum en direction des États baltes qui conduisirent à leur occupation et à leur annexion illégale en juin et juillet 1940. De pseudo élections aux « assemblées populaires » furent organisées à la mi-juillet 1940 à l’issue desquelles les listes soutenues par les soviétiques, les seules autorisées à participer, reçurent entre 92,2 % et 99,2 % des voix (les résultats parurent même 24 heures avant la clôture des « scrutins »). 

En conséquence, la Lituanie fut incorporée à l’URSS le 3 août 1940, la Lettonie le 5 août et l’Estonie le 6 août.

Mais, dès le 23 juillet 1940, Sumner Welles, qui assurait l’intérim pendant la maladie du Secrétaire d’Etat Cordell Hull, avait fait une proclamation, initialement rédigée par Loy Henderson, mais durcie en accord avec le Président Franklin D. Roosevelt :



Pendant 51 ans, même si elle était largement symbolique, la position officielle de la diplomatie U.S. fut que les États baltes avaient été annexés de force. Toutes les cartes américaines faisaient apparaître les États baltes et, le 26 juillet 1983, 61ème anniversaire de la reconnaissance de l’indépendance des États baltes par les États-Unis en 1922, le Président Ronald Reagan réitéra cette reconnaissance dans une déclaration lue à la tribune des Nations Unies.

Encore aujourd’hui, cette déclaration Welles est invoquée lorsqu'il s'agit de condamner l'annexion de la Crimée ukrainienne par la Fédération de Russie.




lundi 15 juillet 2019

15 juillet 1410 : bataille de Žalgiris



La date du 15 Juillet 1410 est connue des écoliers lituaniens à l’instar de celle de la bataille de Marignan pour les écoliers français (du moins à mon époque). Il s’agit de la bataille de Žalgiris, qui a mis un coup d’arrêt aux visées expansionnistes des Chevaliers Teutoniques. (NB : la bataille est appelée Tannenberg par les Allemands, Grünwald par les Polonais et Žalgiris - traduction littérale de Grünwald - par les Lituaniens).


Contexte historique

L’Ordre Teutonique, installé dans la région depuis 1226, avait passé le XIVème siècle à combattre la Lituanie païenne. Mais, en 1386, la donne avait changé : le Grand-duc de Lituanie, Jogaila, s’était marié avec la princesse polonaise Edwige (Jadwiga) d’Anjou et était devenu Roi de Pologne, instituant une union personnelle entre la Pologne et la Lituanie. Mais, pour ce faire, il avait dû se faire baptiser et faire baptiser la Lituanie. En 1404, l’Ordre Teutonique et la Pologne avaient signé une paix « perpétuelle ».

Mais, en 1409, la Žemaitija (nord-ouest de la Lituanie actuelle), toujours païenne, prend les armes contre l’Ordre Teutonique qui l’occupe; l’Union Pologne-Lituanie, qui considère la Žemaitija comme une partie de son territoire, appuie sa révolte. Le 14 Août 1409, le Grand-maître des Teutoniques, Ulrich von Jungingen, déclare la guerre à l’État polono-lituanien. Il propose également un armistice, car aucun des deux camps n’était prêt à la guerre. Celui-ci dura du 8 Octobre 1409 au 24 Juin 1410, et fut prolongé de 3 semaines, car chaque camp, comprenant l’importance capitale de la bataille à venir, regroupait ses forces.

Côté Teutoniques, des chevaliers vinrent de toute l’Europe, notamment de France (on parle de 120 chevaliers), de Grande-Bretagne et des Pays-Bas. De l’autre côté, il y avait les chevaliers polonais du roi Władysław II Jagiełło (Jogaila), les Lituaniens du grand-duc Vytautas, les mercenaires tchèques et moldaves, environ 3 000, commandés par Jan Sokol de Lamberk. Des vassaux de la Lituanie et de Smolensk ainsi qie les Tatares, fournirent également leurs contingents. Les Polono-Lituaniens étaient les plus nombreux (45 000 à 50 000), mais les Teutoniques (32 000 à 36 000) étaient mieux équipés et mieux entraînés.

La bataille


Au matin du 15 Juillet 1410, le soleil se leva vers 4H30. Mais ce n’est qu’à 8H30, alors que les Teutoniques transpiraient au soleil sous leurs cuirasses, mais que les alliées étaient, eux, à l’ombre des bois, que Jogaila accepta le combat. Celui-ci fut longtemps indécis. Le Grand-duc de Lituanie Vytautas (ci-dessous) était de facto le commandant opérationnel sur le terrain, le Roi Jogaila observant depuis une colline à l’écart.

Le Grand-duc de Lituanie Vytautas Didysis ( = le Grand)


Les Teutoniques furent prêts de l’emporter. Mais Jogaila avait gardé son infanterie en réserve et ne l’engagea qu’à six heures du soir. Les paysans polonais et lituaniens s’élancèrent fanatiquement, remplis de haine et de revanche contre ces Teutoniques qui avaient détruit leurs villages et tué leurs amis.

A 19H20, le Grand-maitre Ulrich von Jungingen fut tué. 28 000 Teutoniques et leurs aides périrent dans cette bataille, dont 50 des 60 Commandeurs de l’Ordre et 209 chevaliers. Seuls 1 400 réussirent à quitter le champ de bataille et à rejoindre leur capitale Marienburg (aujourd’hui Malbork en Pologne). Les Alliés polono-lituaniens comptèrent environ 20 000 tués, dont 12 chevaliers et les 2/3 des fantassins.

Les conséquences

Le Grand-duc Vytautas alla mettre le siège à Malbork, mais sans trop de conviction, ne voulant pas servir sur un plateau une victoire trop éclatante à son rival de toujours, Jogaila. Il se retira d’ailleurs rapidement sur son territoire de Lituanie.

La Paix de Toruń fut signée entre l’État polono-lituanien et l’Ordre teutonique le 1er Février 1411. Les pertes territoriales de l’Ordre furent relativement minimes, les Polonais et les Lituaniens récupérant toutefois la Žemaitija et une partie de la Poméranie. La rançon était par contre colossale, équivalent à 20 tonnes d’argent pur et ruina totalement le trésor teutonique pour deux siècles !

Mais surtout, le plus important est que cette victoire permit à la Pologne et à la Lituanie de ne pas subir le sort des malheureux Vieux-Prussiens, exterminés par les Teutoniques, et de conserver leur indépendance et leur culture pour les siècles à venir. Pas étonnant donc que ce qui est important en Lituanie, comme une bière ou une équipe de basket, soit baptisé du nom de Žalgiris.

Le traumatisme fut énorme côté germanique. À un point tel que, lorsque le général Paul von Hindenburg battit les Russes dans la région le 30 Août 1914, il obtient que sa victoire porte le nom de Tannenberg, afin d’effacer l’affront subi 500 ans auparavant !




samedi 13 juillet 2019

Gitanas Nausėda, Président de la République de Lituanie




Hier, vendredi 12 juillet 2019, M. Gitanas Nausėda est devenu Président de la république de Lituanie en présence de ses prédécesseurs, Dalia Grybauskaitė, Valdas Adamkus et Vytautas Lansbergis. Il avait été élu au suffrage universel le 26 mai 2019 avec 66,53 % des voix face à Ingrida Šimonytė. 

Gitanas Nausėda et Dalia Grybauskaitė

Né le 19 mai 1964 à Klaipėda, il est diplomé de la faculté des sciences économiques de Vilnius. Par la suite, il enseignera à l'Université de Mannheim (Allemagne) et soutiendra à Vilnius en 1993 une thèse de doctorat portant sur « la politique des revenus sous inflation et stagflation » . En 1994 , il intègre la Banque de Lituanie au sein du département de la réglementation des banques commerciales avant de rejoindre le département de la politique monétaire jusqu'en 2000. Par la suite, il est nommé économiste en chef et conseiller du président de la banque AB Vilniaus Bankas avant de rejoindre la SEB Bankas en qualité d'analyste financier puis économiste en chef.

Gitanas Nausėda et Valdas Adamkus

Il avait déjà été candidat à l'élection présidentielle en 2004. M. Nauseda a promis de chercher des solutions associant les partis en vue de combler le fossé entre les riches et les pauvres, ainsi que de réduire les disparités régionales. Comme tous les autres candidats, il soutient fermement l'appartenance de la Lituanie à l'UE et à l'Otan, permettant au pays de se démarquer des courants populiste et eurosceptique montant en puissance dans d'autres pays européens.

Gitanas Nausėda et  Vytautas Landsbergis

Il a conclu son discours d'investiture par les paroles suivantes : « Être fidèle à la Lituanie, la protéger, renforcer son indépendance, servir la Patrie, la démocratie, le bien-être du peuple lituanien, accomplir honnêtement ses fonctions – c’est donc le serment de chaque fils et fille de la Lituanie pour son pays. » 

Gitanas Nausėda arrivant au Seimas avec son épouse




jeudi 11 juillet 2019

11 Juillet 1918 : Mindaugas II,éphémère Roi de Lituanie

Guillaume d'Urach


Ceux qui s’intéressent à la Lituanie savent qu’il n’y a eu qu’un seul Roi de Lituanie,Mindaugas, qui a régné de 1253 à 1263. Un seul ? En fait, ce n’est pas tout à fait exact. Mindaugas (ainsi que son épouse Morta) fut le seul Roi couronné de Lituanie.

Mindaugas

Car il y en eut en effet deux autres :

      Vytautas reçut le titre de Roi en Janvier 1429. L’Empereur Sigismond (du Saint Empire Romain germanique) lui envoya la couronne, mais ses envoyés furent stoppés par les magnats polonais à l’automne 1430. Une seconde lui fut envoyée, mais Vytautas mourut au château de Trakai le 27 Octobre 1430, avant que la couronne ne lui parvienne.


Vytautas


   # Mindaugas II, celui qui nous intéresse aujourd’hui,  (Wilhelm Karl Florestan Gero Crescentius, Fürst Wilhelm von Urach, Graf von Württemberg, 2. Herzog von Urach) a « régné » du 11 Juillet 1918 au 2 Novembre 1918.

Le Conseil de Lituanie (Lietuvos Taryba) avait proclamé l’indépendance du pays le 16 Février 1918, mais il n’avait aucun pouvoir du fait de la présence des troupes allemandes. Les Allemands exerçaient d’ailleurs de fortes pressions sur les Lituaniens afin que la Lituanie soit incorporée dans l’Empire Allemand. Les Lituaniens, qui souhaitaient conserver leur indépendance, pensèrent éloigner le danger en établissant une monarchie constitutionnelle.

Le 4 Juin 1918, la Taryba offrit le trône du Royaume de Lituanie à Guillaume, 2ème duc d’Urach. Celui-ci avait l’avantage d’être catholique (religion dominante en Lituanie), de ne pas être un Hohenzollern (famille de l’Empereur d’Allemagne Guillaume II), et d’avoir effectué une brillante carrière militaire. On pouvait en outre espérer, en choisissant un souverain d’origine germanique, que l’Allemagne volerait au secours de la Lituanie en cas d’intrusion russe. En contrepartie, Guillaume d’Urach devait s’engager à vivre en Lituanie et à apprendre la langue lituanienne. Guillaume accepta la proposition le 11 Juillet 1918.

Toutefois, le choix de Guillaume d’Urach ne fit pas l’unanimité. Les quatre membres socialistes de la Taryba étaient opposés à cette nomination. De son côté, le gouvernement allemand soutenait la candidature de Matthias Erzberger, un politicien influent, qui sera signataire de l’armistice du 11 Novembre 1918 à Compiègne. Guillaume d’Urach commença à apprendre le Lituanien, mais il ne vint jamais en Lituanie, restant dans son château de Lichtenstein, au sud de Stuttgart. 

Lorsqu’il devint évident que l’Allemagne allait perdre la guerre, la Taryba lituanienne revint sur sa décision, proclamant la République le 2 novembre 1918. Guillaume d’Urach avait « régné » pendant 114 jours, sans jamais mettre les pieds en Lituanie.

N° 2 dans l'ordre successoral de la Principauté de Monaco, il renoncera à ses droits le 4 octobre 1924, comprenant que la France n'accepterait jamais un prince allemand sur le rocher. Il décédera le 24 Mars 1928 à Rapallo en Italie.

Guillaume d'Urach en famille


mardi 9 juillet 2019

Balzac et les « provinces baltes »

Honoré de Balzac


Honoré de Balzac (1799 – 1850) est un des écrivains français les plus connus et les plus prolixes, mais aussi un grand voyageur. Ses voyages dans l'Empire de Russie (Saint-Pétersbourg et Ukraine) avaient toutefois un but bien particulier : rencontrer sa bonne amie la comtesse Hańska (1801 – 1882) !

Née Ewelina Rzewuska, la comtesse Hańska était portée sur le mysticisme et lisait beaucoup de romans français. Devenue une fervente admiratrice de Balzac, elle engagea en 1832 une correspondance avec l’auteur et le rencontra pour la première fois au bord du lac de Neuchâtel. Balzac en tombe amoureux et va la courtiser pendant 17 ans. Ils se rencontrent à plusieurs reprises jusqu’en 1835, mais ce n’est qu’après le décès de son mari, Venceslav Hanski, que la comtesse accepte que Balzac vienne la retrouver à Saint-Pétersbourg, où elle s’était rendue pour régler la succession du comte.

La comtesse Hańska

Honoré de Balzac quitte Paris le 19 juillet 1843 pour s’embarquer à Dunkerque le 21 juillet sur le paquebot à vapeur Le Devonshire. Il arrive à Saint-Pétersbourg le 29 juillet et va y vivre une vie discrète, apparemment suivant le désir de Mme Hańska, soucieuse « de ne pas trop montrer son célèbre et exubérant ami ». Il reçoit toutefois plusieurs invitations et voit même le Tsar « à la distance de cinq mètres » à l’occasion d’une revue de troupes à Krasnoïe Selo, mais il ne lui est pas présenté. Durant ces semaines passées à Saint-Pétersbourg, il travaille peu.

C’est le 7 octobre que Balzac quittera Saint-Pétersbourg par la malle-poste, en direction de Berlin. On connaît le comportement de l’écrivain grâce aux lettres qu’un de ses compagnons de voyage qui se rendait à Rome, le jeune sculpteur russe Ramazanoff, envoie à sa famille.

Leur itinéraire passe par Narva (Estonie), où les lamproies qu’on lui sert au petit déjeuner inspirent a priori du dégoût à Balzac. Ce n’était que le début des déconvenues gastronomiques de l’écrivain. A Dorpat (aujourd’hui Tartu en Estonie), on lui sert « un bifteck récalcitrant aussi dur que les chemins caillouteux des provinces parcourues », ce qui lui fit dire : « Il faut avoir bien faim pour manger ça; c’est un tour de force » ! A Walki (Valka), c’est une pâtisserie qui n’est pas à hauteur de ses espérances puisqu’il ne subsiste que l’enseigne, représentant des gâteaux.

Le Traité de Nystad (10 septembre 1721), mettant fin à la Grande Guerre du Nord (1700 – 1721), avait consacré l’intégration des provinces baltes dans l’Empire russe. Pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, Riga connut un grand essor industriel et, au XIXe siècle, la ville était devenue un des trois ports les plus importants de l’Empire russe et un centre ferroviaire majeur. Balzac constata : « En entrant dans les rues étroites de Riga, encombrées de hautes maisons à l’architecture originale, nous trouvâmes l’activité bruyante d’une ville commerçante »

Le passage à Mitau (aujourd’hui Jelgava en Lettonie) fut marqué par une altercation entre l’écrivain affamé et les serveuses d’une auberge, pas assez promptes à servir leur hôte. Le met tant attendu se révéla être une mauvaise soupe « Chez nous on donne ça aux cochons » fulmina-t-il. Il se consola avec une omelette qui fut le seul et maigre réconfort de ce triste repas. Heureusement que, pour compenser des qualités gastronomiques perfectibles, Balzac avait emporté un panier rempli de bouteilles de vin de Sauternes, dont la dernière sera ouverte à Tauroggen (Tauragė), à l’occasion du …… petit déjeuner.

Plaque inauguré le 10 octobre 2013 pour rappeler le passage de Balzac à Tauragé


Le 10 octobre, les voyageurs sont effectivement à Tauroggen /Tauragė, aujourd’hui en Lituanie mais alors à la frontière russo-prussienne. Les passagers ne virent pas de sentinelle, la guérite étant cachée par la verdure. Sur la route, il n’y avait que deux poules qui se promenaient. « Voyez, un grand empire comme la Russie est gardé par des poules » s’exclama Balzac !

Le samedi 14 octobre matin, Balzac arrive à Berlin où il trouve « le premier lit qui ressemble à un lit depuis qu{‘il a} quitté Dunkerque » ! Il sera de retour chez lui, à Passy, le 3 novembre 1843 au soir.

On notera que, tout au long du voyage, Balzac irritera régulièrement ses compagnons de voyage, en proclamant « qu’il n’y ait de bien que ce qui est en France ». Le jeune Ramazanoff écrira : « Il était agréable de voir son attachement à la terre natale s’exprimer dans ses propos impétueux {…}.Mais il n’était pas agréable d’entendre ses comparaisons et ses opinions sur les autres pays ».

Le mariage de Balzac et de Mme Hańska sera célébré dans l’église catholique Sainte-Barbe de Berdytchiv en Ukraine le 14 mars 1850. Le 24 avril 1850, Monsieur et Madame de Balzac prennent la route de Paris, où ils arrivent le 21 mai. Mais la santé de l’écrivain se dégrade de jour en jour. Laxatifs et saignées n’empêchent pas les fréquentes syncopes. Victor Hugo, qui a toujours loué son génie, le veille jusqu’au dernier souffle. Dans la nuit du 18 août 1850, Balzac s’éteint à l'âge de 51 ans. Sa veuve ne retournera jamais en Ukraine.

Pour en savoir plus sur Balzac en Russie : « Balzac dans l’Empire russe – De la Russie à l’Ukraine », Paris-Musées / Editions des Cendres, 1993