dimanche 21 juin 2020

20 juin 1791 : Louis XVI et le futur Louis XVIII s'enfuient de Paris

Louis XVIII


Connaissez vous Jelgava, ville en Lettonie de 65 000 habitants, située à 42 km au sud de Riga. Son nom germanique de Mitau, sous lequel elle a été connue pendant des siècles, est apparu en 1265 quand le Grand-maître de l’Ordre Livonien a fait construire un château-fort sur une île au confluent du fleuve Lielupe et de son affluent la Driksa. La ville se développera surtout au milieu du XVIe siècle, avec l’établissement du Duché de Courlande et l’installation, en 1568, de sa capitale à Mitau à l’instigation du premier Duc, Gotthard Kettler. L’étape suivante aura lieu sous le Duc Ernst Johann Biron, avec la construction, étalée de 1738 à 1771, d’un palais baroque sur les plans de l’architecte italien Bartolomeo Rastrelli, qui construira en même temps une résidence d’été de Rundāle. 

Le palais de Mitau / Jelgava

Mais ce qui m’a amené à plusieurs reprises à Mitau/Jelgava, c’est Louis XVIII

Celui qui n’est à l’époque que le Comte de Provence s’enfuit de Paris le 20 Juin 1791, le même jour que son frère le Roi Louis XVI, mais lui aura la chance de n’être ni reconnu ni rattrapé. Rejoignant d’abord l’armée des émigrés à Coblence, il va par la suite mener une vie d’exil, et cette vie ne dépendra que des subsides et de l’hospitalité des souverains étrangers. C’est ainsi qu’il arrive à Mitau le 29 Mars 1798, à l’invitation du Tsar Paul 1er

Il va retrouver un peu de faste dans l’ancien palais des Ducs de Courlande (le Duché a été annexé par la Russie en 1795), avec une suite de 108 personnes et une centaine de gardes du corps équipés aux frais du Tsar, lequel lui octroie en plus une rente annuelle de 200 000 roubles. Mais surtout, celui qui est officiellement le Roi Louis XVIII depuis le décès du Dauphin à la prison du Temple en 1795, va élaborer un programme politique destine à être appliqué à son retour en France. En outre, c’est à Mitau qu’a lieu, le 10 Juin 1799, le mariage de Marie-Thérèse-Charlotte, la fille orpheline de Louis XVI et Marie-Antoinette, avec le Duc d’Angoulême, fils ainé du Comte d’Artois futur Charles X.  

Mais, le 20 Janvier 1801, suite à des intempérances de langage de l’entourage de Louis XVIII, celui-ci est expulsé (par une lettre adressée à « Monsieur Louis XVIII ») vers Varsovie, alors en Prusse. C’est lors de ce voyage que Louis et sa suite seront bloqués par une tempête de neige le 24 Janvier 1801, et que le Roi sera contraint de passer deux heures à pied dans la neige (épisode rappelé par la gravure ci-dessous, photographiée hier au Musée du château de Jelgava).



Le Roi de Prusse expulsera à son tour « ces Français turbulents » en Aout 1804 et, après plusieurs semaines passées chez le Baron von Konigfels à Blankenfeld (actuelle frontière Lettonie / Lituanie), Louis XVIII retrouve Mitau en Octobre 1804. Il y séjournera jusqu’au 3 Septembre 1807, date à laquelle il rejoindra l’Angleterre, via le port de Liebau (Liepaja), car les troupes napoléoniennes sont décidément un peu trop proches (on se rappellera que, le 25 Juin 1807, a eu lieu la rencontre entre Napoléon 1er et Alexandre 1er à Tilsit).  

Le palais de Mitau / Jelgava abrite aujourd’hui, et ce depuis 1936, l’Université d’Agriculture de Lettonie. Ayant été détruit plusieurs fois, notamment en 1919 par les troupes de Bermondt-Avaloff et en Juillet 1944, lors des combats germano-soviétiques de la poche de Courlande, le palais présente un extérieur brillant rénové petit à petit, mais l’intérieur n’a rien à voir avec ce qu’il pouvait être à l’époque des Ducs de Courlande ou de Louis XVIII. Une pièce abrite un modeste  musée, avec pratiquement rien qui ne rappelle le séjour de 2 fois 3 ans du Roi de France. Je dois toutefois souligner l’extrême disponibilité de la jeune femme qui devait en être à l'époque (2010) le conservateur et qui m’a ouvert, sans que je l’aie sollicité, ses maigres archives sur le sujet. 

Je ne peux donc qu’espérer qu’à l’avenir un peu plus d’intérêt soit apporté, notamment par la France,  à un lieu qui a abrité une partie de son histoire.   



jeudi 18 juin 2020

Cérémonie franco-allemande à Klaipėda




Le mardi 16 juin 2020 , une cérémonie franco-allemande a eu lieu à Klaipėda, au monument à la mémoire des 690 prisonniers français de la guerre franco-prussienne de 1870, qui ont été contraints de participer à la construction du König-Wilhelm-Kanal (aujourd'hui Klaipedos Kanalas) de 1871 à 1873. Près d’une soixantaine d’entre eux seraient morts durant les travaux.

On notait la présence de lAmbassadrice de France, Mme Claire Lignières-Counathe , de l’ambassadeur d’Allemagne, M. Matthias Sonn, du maire-adjoint de Klaipėda, Arvydas Cesiulis, de l’amiral Arūnas Mockus, commandant les forces navales lituaniennes, ainsi que du recteur de l’Université de Klaipėda, Artūras Razbadauskas. Les vice-consuls français, Olivier Criou, et allemand, Arūnas Baublys, ainsi que les deux Attachés de Défense, le Colonel (FR) Stéphane Loechleiter et le Lieutenant-colonel (D) Thorsten Fries, étaient également présents.



Dans son discours, l’Ambassadrice a souligné l’histoire commune entre la France, l’Allemagne et la Lituanie, qui se matérialisait plus particulièrement à Klaipėda, ainsi que le symbole de réconciliation porté par ce lieu de mémoire. Nous devions préserver la paix et renforcer la solidarité entre États membres de l’Union européenne, comme les trois pays s‘y étaient employés durant la crise sanitaire.

Cette cérémonie revêtait en outre un caractère particulier pour le Délégué Général du Souvenir Français pour la Lituanie, l’Adjudant (er) Vaidotas Zinkevičius, qui participait à une de ses premières cérémonies officielles. Mais surtout cette cérémonie s'inscrivait dans le cadre de l'action du Souvenir Français qui a voulu, en cette période du 150ème anniversaire de la guerre de 1870, mettre en exergue ce conflit largement oublié des mémoires mais fondateur de l'histoire de notre République et du Souvenir Français lui-même.

Rappelons que le Souvenir Français a pour objet :
# de conserver la mémoire de ceux qui sont morts pour la France ou qui l'ont honorée par leur engagement, leurs actes héroïques ou toute autres belles actions, notamment en entretenant leurs tombes et les monuments ;
# de participer à la vie commémorative via les cérémonies patriotiques ;
# de transmettre le flambeau du souvenir aux jeunes générations.



La Délégation Générale de Lituanie, dont je suis le Délégué Général adjoint, fait ses premiers pas et aura dans les premiers temps à recenser les tombes de ceux qui sont tombés, sous l'uniforme français ou allemand, dans ces contrées lointaines. Aussi surprenant que ça puisse paraître, ils sont relativement nombreux.

L'Adjt Zinkevičius (à gauche) et les Attachés Défense français et allemand


vendredi 5 juin 2020

Tadeusz Kościuszko et ses liens avec la France




Dans le cadre du mouvement « Black Lives Matter » (BLM) aux Etats-Unis, le monument à la gloire de Tadeusz Kościuszko à Washington DC a été vandalisé. (photo ci-dessous). Sans entrer dans la polémique, les auteurs du vandalisme ignoraient manifestement qui était Tadeusz Kościuszko et surtout que, par testament, il avait dédié une partie de ses biens aux États-Unis à la libération des esclaves.



C'est en tout état de cause un prétexte de rappeler brièvement qui était Tadeusz Kościuszko, et ses rapports particuliers avec la France, dont il avait été fait citoyen d'honneur en 1792. C'est d'autant plus justifié qu'il y a exactement un an, avec un groupe d'amis, j'avais visité sa maison natale près de Kossova au Bélarus (ci-dessous).



Car Tadeusz Kościuszko est né le 4 février 1746 dans une familel aristocratique du Grand-duché de Lituanie. Fils d'Officier, il intègre en 1765 une académie, fondée à Varsovie par le Roi Stanislas Poniatowski, destinée à former les Officiers et les haut-fonctionnaires. Dès 1768, il est déjà Capitaine. Quittant la Pologne-Lituanie au moment où la Confédération de Bar essaye de renverser le Roi Stanislas, il s’installe à Paris le 5 octobre 1769. Il y restera 5 ans, fréquentant principalement l'Académie Royale de peinture et de sculpture.

De retour en Pologne-Lituanie en 1774, donc après le premier partage de 1772 au profit de la Prusse, de l'Autriche et de la Russie, Kościuszko s'aperçoit que son frère a dilapidé une grande partie de la maigre fortune familiale et qu'il ne peut donc obtenir un « office » dans l'armée. Il décide donc de repartir à Paris à l'automne 1775. C'est là qu'il apprend la révolte des Treize colonies américaines contre la domination britannique.

Il s'engage donc comme volontaire dans la guerre d'Indépendance des États-Unis. Il s'y illustra par son héroïsme et fit montre de talent militaire, surtout dans les travaux de fortification (Philadelphie, West Point, Rhode Island, Yorktown, New York). Washington le promut au grade de colonel du génie. À la fin de la guerre, il fut nommé général de brigade. La nation américaine lui exprima sa reconnaissance en le faisant citoyen d'honneur et en lui octroyant des terres et une pension annuelle. 

Le 15 juillet 1784, Kościuszko embarque pour l'Europe. Le 26 août, il est de nouveau à Paris, puis s'installe à Siechnowicze aujourd'hui  au Bélarus. Ce n'est qu'en 1790, grâce à l'augmentation des effectifs militaires pour défendre les frontières de la Pologne contre ses voisins agressifs, que  le roi accorde un office de général, assorti d'un important salaire annuel de 12 000 zlotys.

On passera sur la guerre russo-polonaise (au cours de laquelle Kościuszko reçoit le commandement d'une division près de Kiev) et sur l'insurrection dite de Kościuszko pour laquelle il se rend à Paris pour essayer d'obtenir le soutien de la France lors du soulèvement à venir. Il y reste jusqu'à l'été 1792. Mais les Français refusent de s'engager. Il est d’ailleurs globalement déçu par la Révolution française.

Tadeusz Kościuszko prêtant serment en tant que chef de l'insurrection

Le 10 octobre 1794, Kościuszko est blessé et capturé à la bataille de Maciejowice . Il est emprisonné à Saint-Pétersbourg dans la forteresse Pierre-et-Paul. L'insurrection prend fin peu après avec la bataille de Praga, le 4 novembre 1794, et le massacre de près de 20 000 habitants de Varsovie par les troupes russes.

Gracié le 28 novembre 1796 par le nouveau Tsar Paul 1er, il part pour les États-Unis où il est considéré avec méfiance par le nouveau gouvernement fédéraliste. Il décide donc de retourner en France. Il arrive à Bayonne le 28 juin 1798 et rejoint les groupes d'immigrés polonais. Il refuse néanmoins le commandement des légions polonaises  au sein de l'armée française. Il rencontre le Premier Consul Napoléon Bonaparte le 17 octobre et le 6 novembre 1799  mais ne parvient pas à un accord avec lui. Il faut dire que Kościuszko déteste les ambitions dictatoriales de Napoléon qu'il qualifie de « fossoyeur de la république [française] ». En 1801, il s'installe à La Genevraye près de Paris dans la résidence de l'ambassadeur suisse et se tient à l'écart des questions politiques.

Après la chute de l'Empire en 1814 et 1815, Kościuszko rencontre le tsar Alexandre 1er une première fois à Paris puis à Braunau en Suisse.  Apprenant que le Royaume de Pologne, créé par le Congrès de Vienne, sera encore plus petit que le Duché de Varsovie, il qualifie cette entité de « plaisanterie. Il s'installe en Suisse à Soleure. Il y succombe suite à un accident vasculaire cérébral le 15 octobre 1817, quelques jours après une chute de cheval.

Un monument à Tadeusz Kościuszko est érigé à Montigny-sur-Loing (France), à côté de La Genevraye où il a vécu une quinzaine d'années (ci-dessous).



A noter pour terminer, comme je le faisais remarquer en 2012, que Tadeusz Kościuszko fait partie de ces Lituaniens biélorusses que l’on croit polonais :