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mardi 28 juin 2022

28 juin 1919 : le Traité de Versailles et les Baltes

 


Dans l'inconscient populaire, la Première Guerre mondiale a pris fin le 11 novembre 1918. En fait, il n'en est rien, puisque ce jour-là ne fut signé à Rethondes qu'un armistice. Il faut attendre le 28 juin 1919 – soit 5 ans jour pour jour après l'attentat de Sarajevo – pour que soit signé à Versailles un traité de paix avec l'Allemagne, et encore n'était-ce que le premier, d'autres étant signés ultérieurement :

  • Traité de Saint-Germain-en-Laye, le 10 septembre 1919, avec l’Autriche

  • Traité de Neuilly-sur-Seine, le 27 novembre 1919, avec la Bulgarie

  • Traité de Trianon, le 4 juin 1920, avec la Hongrie

  • Traité de Sèvres, le 10 août 1920, avec la Turquie (non ratifié, il sera remplacé par le Traité de Lausanne du 24 juillet 1923)

Les négociations de paix s'étaient ouvertes à Paris le 18 janvier 1919 et réunissaient 27 délégations des puissances victorieuses. Les plénipotentiaires allemands avaient été tenus à l'écart des débats sur la préparation du traité. Ils ne prirent connaissance du texte final du traité que le 7 mai 1919 (sept semaines avant la séance de signature) sans qu'ils aient pu négocier quoi que ce soit. Ce fut une première dans les annales de la diplomatie européenne. Ils proposèrent des modifications le 29 mai 1919 mais elles furent toutes rejetées sauf une, concernant la Silésie. En Allemagne, ce fut l'indignation et l'opinion publique qualifia le traité de Diktat.



Le traité de Versailles fut pour l'essentiel arbitré par quatre personnes : le Français Georges Clemenceau, le Britannique David Lloyd George, l'Américain Thomas Woodrow Wilson et l'Italien Vittorio Orlando. Le président Wilson était un idéaliste qui voulut imposer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, conformément à ses Quatorze Points de janvier 1918, au risque de créer des États-croupions non viables en Europe centrale. Le Premier ministre britannique Lloyd George, dans le souci de maintenir un certain équilibre entre les puissances européennes et aussi pour complaire au président Wilson, aurait voulu éviter de trop écraser les puissances d'Europe centrale mais son souhait fut contrecarré par Georges Clemenceau. Car le «Tigre» voulait punir l'Allemagne. Il y était poussé par les militaires comme le général Foch et surtout par son opinion publique, qui avait le sentiment justifié d'avoir donné son sang plus que d'autres dans la Grande Guerre.

Le Traité est finalement signé dans la galerie des Glaces du château de Versailles le 28 juin 1919, sur les lieux mêmes où fut fondé l'empire allemand le 18 janvier 1871. En rupture avec les traditions diplomatiques de l'ancienne Europe, les plénipotentiaires allemands sont reçus de la plus mauvaise manière qui soit. La séance dure cinquante minutes. Ni décorum, ni musique. Clemenceau, debout, invite les Allemands à signer les premiers le traité (L'assemblée réunie à Weimar ne s'était résignée à approuver le traité que le 22 juin 1919). À leur suite, chaque délégation s’approche du bureau pour signer.



Alors que les Allemands s'indignent d'un Diktat, la majorité des Français jugent pour leur part le traité encore trop indulgent à l'égard de l'Allemagne, au regard de ce qu'eux-mêmes ont dû encaisser cinquante ans plus tôt avec le traité de Francfort qui a conclu la guerre franco-prussienne. Ils en tiendront rigueur à Clemenceau si bien que celui-ci sera empêché d'être élu à la présidence de la République l'année suivante ! Quant aux Américains, soucieux de concorde, ils s'indignent à l'égal des Allemands de la trop grande sévérité du traité. Le 19 mars 1920, le Sénat américain s'offre même le luxe de ne pas ratifier le texte signé par le président Wilson. En le rejetant, il refuse par la même occasion l'entrée des États-Unis à la SDN !

Quant aux États baltes, ils ne sont évoqués, sans être cités, que dans l'article 99 du Traité. La présence des délégations baltes à la Conférence de Paris n'était d'ailleurs qu'officieuse, et elles n'ont pas participé aux négociations de paix. Il faut dire qu'initialement le Quai d'Orsay, dans une note du 14 février 1919, voyait dans la reconnaissance potentielle de l'indépendance des « provinces baltiques » « un grave danger pour la paix en Europe » !!

C'est le Traité de Versailles qui amputa la Prusse Orientale du territoire de Memel. Mais c'est une autre histoire, sur laquelle je reviendrai abondamment.



Texte intégral du Traité de Versailles : https://www.herodote.net/Textes/tVersailles1919.pdf






samedi 25 juin 2022

Napoléon et la Lituanie

 



L'Empereur Napoléon 1er est venu par deux fois dans ce qui était jusqu'en 1795 le Grand-duché de Lituanie. Et par deux fois c'était à la fin juin.

La première fois, c'était en 1807 à l’occasion de la signature des traités de Tilsit. Après l’écrasante défaite des troupes russes du Général Bennigsen, le 14 juin 1807 à Friedland (aujourd’hui Pravdinsk), les Français atteignirent le Niémen le 19 juin 1807. Ce sont les généraux russes qui supplièrent le Tsar de solliciter un armistice.

Le 25 juin 1807, entre 13H et 14H30, le Tsar de toutes les Russies et l’Empereur des Français vont se rencontrer au milieu du Niémen sur un radeau de luxe construit par le Général comte Lariboisière. Alexandre 1er aurait dit à Napoléon « Je hais autant les Anglais que vous », ce à quoi l’Empereur aurait répondu « En ce cas, la paix est faite » !  

Le premier traité de Tilsit est signé en secret le 7 juillet 1807 entre les deux empereurs. Il associe la Russie au blocus continental, mais lui laisse les mains libres pour s’emparer de la Finlande et démembrer l’Empire ottoman. Le second traité, celui-ci public, est signé le 9 juillet 1807 avec la Prusse et consacre le démembrement de celle-ci. Il est notamment créé le Duché de Varsovie à partir de terres polonaises et lituaniennes (Užnemunė). Les traités de Tilsit ressemblent à un partage de l’Europe. Mais l’accord est mal accueilli à Saint-Pétersbourg, car on subodore que l’application du blocus continental va ruiner l’économie russe. 

Napoléon 1er va revenir dans la région en 1812. Accusant le Tsar Alexandre 1er de ne pas respecter l’accord de Tilsit, il décide d’attaquer la Russie. Il faut dire qu’au début 1812, Napoléon est au faîte de sa gloire, gouvernant directement un tiers de l’Europe, de Hambourg à Barcelone, d’Amsterdam à Dubrovnik.

La Grande Armée commence à franchir le Niémen dans la nuit du 23 au 24 juin 1812. Le 24 juin, Napoléon s’installe à Kaunas au couvent de la Sainte-Croix, qu’il quittera le 27 juin à 4 heures du matin par une rue qui est encore aujourd’hui la Prancūzų gatvė, la rue des Français ; il passe la nuit dans un château 4 km à l’ouest de Vievis et arrive le 28 juin midi devant Vilnius, prise le matin par Murat et entre dans la ville par la Porte de l’Aurore.



Napoléon 1er a personnellement séjourné du 28 Juin au 16 Juillet 1812 dans le palais épiscopal de Vilnius, devenu en 1795 le palais du gouverneur russe et qui, après transformations au cours du XIXe siècle, deviendra l’actuel palais présidentiel. Au cours de ce séjour de 19 jours, que certains trouveront trop long (mais facile à dire après……), l’Empereur mit en place la structure administrative du Grand-duché de Lituanie, mais surtout fit de Vilnius un point essentiel de ses opérations futures. Napoléon avait notamment besoin de temps pour se réapprovisionner et pour réorganiser les territoires occupés.

Pour l'anecdote, l15 Août 1812, date anniversaire de la naissance de l’Empereur (en 1769), le Maire de Vilnius, Mykolas Römeris (1778 – 1853) fit baptiser la place devant le palais épiscopal en Place Napoléon. La place sera rebaptisée par les Russes Place Mouraviev, du nom du comte Mikhaïl Nikolaïevitch Mouraviev (1796 – 1866), gouverneur de l’ex-Grand duché de Lituanie et chargé de la répression après l’insurrection de 1863 (ce qui lui voudra le surnom de « pendeur de Vilnius »). Assez étonnamment, lors de leur occupation de la Lituanie à partir de 1915, les Allemands la rebaptisèrent Napoleon Platz !



Le retour sera plus rapide. L’Empereur quitte l’armée le 5 décembre à Smorgoni, avant de rejoindre Paris au plus vite car le Général Mallet y conspire. Le 6 décembre au petit matin, il rencontre Maret, Ministre des Affaires Étrangères, à Medininkai, atteint Vilnius à 10H15 sans y entrer, puis Kaunas le 7 décembre à 5H du matin, talonné par les cosaques. Il sera à Paris le 18 décembre à 23H45. Le dernier à « fermer la porte » à Kaunas, le 14 décembre soir, sera le Maréchal Ney avec 30 soldats (ci-dessous) !




jeudi 23 juin 2022

Ligo et Jani en Lettonie

 



Les Lettons sont entrés aujourd’hui dans un long week-end de 5 jours dont les points culminants sont le jour de Līgo (23 Juin) et celui de Jāņi (24 Juin). Ces jours sont des jours fériés que les gens passent traditionnellement à la campagne pour fêter le solstice d’été, donc la nuit la plus courte de l’année.

La fête commence le 23 Juin soir (Jāņu vakars) et continue toute la nuit (Jāņu nakts) afin que les participants basculent (Līgo !) dans le jour suivant.

Jāņi est une fête jadis célébrée en l’honneur du dieu païen Jāņis, qualifié de fils de Dieu. Initialement fixée à la date du solstice (21 / 22 Juin), la fête a été reculée dans une association assez bizarre avec le Saint chrétien Jean le Baptiste (= le baptiseur, à ne pas confondre avec Saint Jean l’Evangéliste), qui est fêté le 24 Juin.

Jāņi est supposée être la période de l’année où les forces de la nature sont à leur apogée et où les différences entre les mondes physique et spirituel sont les plus ténues. Dans le passé, on croyait que les sorcières venaient roder, aussi les habitants décoraient leurs maisons avec des branches de sorbier et d’épineux, afin de les éloigner. Aujourd’hui, on utilise également des branches de bouleau et de chêne, des fleurs et des fougères. Les gens portent des couronnes, couronnes de fleurs pour les femmes, couronnes de feuilles de chêne pour les hommes.


Une activité populaire de cette nuit de Jāņi est la recherche de la mythique fleur de fougère, symbole de savoirs magiques, permettant notamment de comprendre le langage des animaux et des arbres, de deviner l’avenir et de savoir ce que pensent les gens. En fait, aujourd’hui, la recherche de la fleur de fougère, nuitamment dans les bois, est plutôt synonyme d’ébats plus …… ludiques, qui correspondent généralement à un pic de naissances 9 mois plus tard.

On se réunit autour du feu, par-dessus lequel on saute, ce qui assurerait la prospérité et la fertilité. La nourriture traditionnelle est un fromage particulier, fabriqué à partir de lait caillé et contenant des graines de carvi, accompagné de bière.

Les équivalents de Līgo et Jāņi en Lituanie sont Rasos et Joninės.





mercredi 22 juin 2022

Kaliningrad : bourdes journalistiques

 


Suite aux récentes tensions entre la Lituanie et l'oblast russe de Kaliningrad, certains médias – pour ne pas dire tous – ont manifestement découvert le territoire. Certains rédacteurs (je n'ose pas parler ici de journalistes) ne se sont toutefois même pas, a priori, donné la peine d'ouvrir Wikipédia !

Au palmarès des plus belles bourdes, je pense qu'on peut inscrire « Kaliningrad possède une frontière terrestre avec la Lituanie, la Biélorussie et la Pologne » (Le Parisien) ou encore « L’enclave de Kaliningrad est approvisionnée par un couloir de 35 kilomètres la reliant à la Russie » (Cnews). NB : je ne traiterai pas ici du fond du problème.



Au chapitre des erreurs les plus courantes, il y a le fait de parler d'enclave de Kaliningrad. Une enclave est un territoire complètement entouré par une seule autre entité territoriale (région ou pays). Ce n'est pas le cas de l'oblast de Kaliningrad, bordé au nord par la Lituanie, au sud par la Pologne et à l'ouest par la mer Baltique. En l’occurrence, il convient de parler d'exclave, morceau de terre sous souveraineté d'un pays du territoire principal duquel il est séparé par un ou plusieurs pays ou mers.

Deuxième erreur généralement constatée : dire que Kaliningrad a une population d'un demi-million d'habitants. C'est vrai de la ville (475 100 habitants en 2013), mais l'oblast doit approcher le million d'habitants (976 439 en 2016). Certains rédacteurs n'ont peut-être pas fait le distinguo entre ville et territoire.

Je passe sur l’obstination bien franchouillarde de continuer à appeler Biélorussie, nom porté à l'époque soviétique, un État dont le nom officiel en français est Bélarus depuis septembre 1991 ……..



Autre erreur parmi celles les plus couramment constatées : le corridor ou couloir de Suwałki. C'est un terme utilisée principalement dans un contexte militaire pour qualifier la bande de terre qui assure, seule, la continuité territoriale entre les trois États baltes et les autres pays de l'OTAN. Le couloir mesure 65,4 km de large à son point le plus étroit, entre l'oblast de Kaliningrad et le Bélarus, et non pas 100 km ou 35 km comme on le voit ici ou là.

Confusion est faite en outre avec le corridor ferroviaire qui relie Minsk à Kaliningrad à travers la Lituanie, via Vilnius et Kaunas, corridor qui a fait l'objet d'un accord en avril 2004 entre la Russie et l'Union Européenne.

Dernier point, en marge. Certains réclament le retour de Kaliningrad/Königsberg à l'Allemagne. Si Königsberg a bien été la capitale de la Prusse Orientale depuis 1255, c'est à la conférence de Postdam (17 juillet - 2 août 1945), réunissant Staline, Truman et Churchill, que fut agréé le principe du transfert de Königsberg à l'URSS. Le 14 novembre 1990 était in fine signé à Varsovie le Traité sur la frontière germano-polonaise qui fixait les limites de l'Allemagne réunifiée avec la Pologne sur la ligne Oder-Neiβe, frontière effective depuis 1945. L'Allemagne renonçait donc définitivement aux anciennes provinces situées à l'est de ces deux rivières, en particulier à la Prusse Orientale. Il est indéniable qu'aux yeux de la loi internationale, l'URSS est le propriétaire légal du territoire de Königsberg. Au passage, au moins deux reprises (1945 et 1963), le territoire avait été proposé à la RSS de Lituanie qui avait judicieusement décliné l'offre.

Il y aurait eu en 2001 des pourparlers secrets entre le chancelier allemand Gerhard Schröder et le (déjà) président Vladimir Poutine, en vue d'un retour de Kaliningrad/Königsberg dans le giron allemand ou, du moins, dans la sphère économique allemande. L'ambassade d'Allemagne en Russie a parlé de « délire complet » et le gouverneur de l'oblast a nié avoir eu la moindre information. Mais, en tout état de cause, si pourparlers il y a eu, ils n'ont pas débouché et les Allemands se félicitent sans doute aujourd'hui de ne pas avoir récupéré un « Département d'Outre-Terre » peuplé d'un million de Russes !