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vendredi 14 janvier 2022

Disparition de Louise Cohen, âme de l'association « Convoi 73 »

Madame Louise Cohen s'adressant aux jeunes générations

Madame Louise Cohen nous a quittés le mardi 11 janvier matin, au terme d’un long combat inégal contre la maladie et nous en sommes toutes et tous bouleversés. Elle avait été à l'origine de la création officielle de l' « Association des Familles et Amis du Convoi 73 » et en était restée l'âme. Son frère Lucien avait été raflé à 22 ans par la Milice française à Chambéry et livré à la Gestapo en mai 1944 ; il avait été déporté avec les 877 autres hommes de ce convoi si singulier, parti vers les pays baltes, sans en revenir vivant.

Entre mars 1942 et août 1944, 79 convois de déportation ont quitté la France, généralement Drancy, pour les camps. Ils étaient composés de personnes présumées de religion, d’appartenance ou d’ascendance juive. Un seul, le convoi 73 s’est dirigé vers les États baltes. A ce jour, on ignore toujours la raison pour laquelle ce train  a été dirigé vers cette destination "non conventionnelle" et on l’ignorera, sauf surprise, sans doute toujours. 

Ce convoi 73, constitué de 15 wagons à bestiaux, a quitté Drancy le 15 Mai 1944. Il avait pour caractéristique de ne comporter que des hommes dans la force de l’âge, entre 12 et 66 ans, en tout 878 dont 38 adolescents. Au départ, il leur avait été dit qu’ils allaient travailler pour l’organisation Todt, groupe de génie civil et militaire allemand chargé de la réalisation de constructions, civiles comme militaires, en Allemagne et dans les pays occupés. En fait, le convoi s’est d’abord dirigé vers la Lituanie qu’il atteint après trois jours d’un voyage éprouvant, le 18 mai 1944.

Dix des quinze wagons sont restés à Kaunas, et ce sont environ 600 hommes qui ont été dirigés vers le IXe Fort puis, peu de temps après, vers le camp de travail de Pravieniškės, à une vingtaine de kilomètres de Kaunas. Ils furent soumis au travail forcé avant d’être exécutés par groupes dans la forêt. Les cinq autres wagons ont continué jusqu’à Reval, aujourd’hui Tallinn, et les déportés ont d’abord été internés à la prison de Patarei, puis utilisés à réparer les pistes du terrain d’aviation de Lasnamaë. Ils furent là aussi assassinés dans leur grande majorité. 

Inscription sur un mur du IXe Fort à Kaunas, dans la salle dite des Français

Après la guerre, les Allemands n’ont pas donné d’explication formelle quant à cette destination exceptionnelle. Une « erreur d’aiguillage » étant peu vraisemblable, une des théories serait que les Allemands aient fait venir des « brûleurs de cadavres » ne parlant pas la langue locale, de façon à ce qu’aucun témoignage ne puisse filtrer sur les exactions qui se déroulaient au fort.

Seuls 22 des 878 hommes du Convoi 73 ont survécu après la guerre, et ont pu rentrer en France en Mai 1945. Parmi les victimes, on compte le père et le frère de Madame Simone Veil, elle-même déportée à l’âge de 16 ans à Auschwitz-Birkenau. Le pire est que les familles ignorent où leur parent a été exécuté. Il reste aujourd’hui un seul survivant, M. Henri Zajdenwergier qui avait 16 ans en 1944.


M. Henri Zajdenwergier avec le Premier Ministre Edouard Philippe à Tallinn

L’Association des Familles et Amis des Déportés du Convoi 73 organise tous les deux ans (sauf pandémie) un voyage de mémoire en Lituanie et en Estonie. Par deux fois, lorsque je résidais en Lituanie, j’avais participé aux cérémonies de Kaunas. Bien que n’étant présent qu’en tant que modeste historien, je ne pouvais faire autrement, au milieu des familles, que d’être concerné par ce sentiment de tristesse, décuplé par le fait de ne pas savoir où étaient mort et a fortiori où étaient enterrés ces hommes qui n’avaient comme seul « tort » que d’être Juifs.


Cétémonie à Kaunas; Louise Cohen est au premier rang (cheveux blancs)

Madame Louise Cohen va nous manquer. Mais la flamme de la mémoire ne doit pas s'éteindre, surtout à une époque où certaine voudraient réécrire l'histoire.

Ses obsèques auront lieu jeudi 20 janvier à 15h00 au cimetière du Père Lachaise (entrée Gambetta, avenue transversale N°2)


Stèle au cimetière du Père Lachaise





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