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mardi 26 avril 2016

La ceinture de forts autour de Kaunas

L'Europe en 1914
Suite au partage de la République des Deux Nations (polonaise et lituanienne) entre leurs prédateurs (Empire Russe, Royaume de Prusse et Empire d’Autriche-Hongrie), le Grand-duché de Lituanie fut principalement incorporé à l’Empire Russe à partir de 1795, perdant jusqu’à son nom.

Au confluent du Niémen et de la Neris, la ville de Kaunas (Kovno) était déjà un centre commercial important depuis la fin du XVIe siècle, voire depuis que la ville était devenue un poste avancé de la Ligue Hanséatique en 1441. Au XIXe siècle, deux réalisations majeures contribuèrent à l’essor de la cité : la construction du Canal Augustów, achevé en 1832, permettant de relier Baltique et Mer Noire, et la ligne de chemin de fer Saint-Pétersbourg – Kaunas - Varsovie – Allemagne, terminée en 1862.  

Le Tsar Alexandre II

La protection de Kaunas, aux marches de l’Empire Russe, devint un souci après que la Grande Armée de Napoléon y eut franchi le Niémen sans difficulté à partir du 24 Juin 1812. L’unification progressive de l’Allemagne et la proclamation de l’Empire allemand le 18 Janvier 1871, convainquirent les autorités russes de faire de Kaunas une place forte qu’un ennemi devrait conquérir avant de s’engager vers Riga ou Vilnius. Il fallut toutefois attendre le 7 Juillet 1879 pour que le Tsar Alexandre II signe le décret ordonnant la construction d’un système de fortifications.

Le système défensif de Kaunas 

Les travaux commencèrent en 1882 et utilisèrent environ 4 000 ouvriers. Initialement, il était prévu la construction de 7 forts et de 9 batteries défensives, mais aussi de casernes, de nouvelles routes et d’un dépôt de munitions. Les forts avaient cinq faces et étaient construits en briques renforcées de terre, selon les standards russes de l’époque. La première phase de construction fut achevée en 1889.

En 1890 commença la construction du Fort VIII (Linkuva) qui utilisait de nouvelles techniques de construction, notamment le béton. Terminé vers 1907, il disposait de l’électricité et de l’évacuation des eaux usées, et pouvait accueillir un millier de soldats. La construction du Fort IX commença en 1903 et dura jusqu’en 1911. A partir de 1912, la modernisation des anciens forts fût entreprise, afin de satisfaire aux nouveaux critères techniques, et la construction de 12 nouveaux forts supplémentaires était prévue. Mais le début des opérations sur le front est en 1914 interrompit les travaux.

Le Général allemand Karl Litzmann

Au cours de la Première Guerre mondiale, les Allemands attaquèrent Kaunas début août 1915. La forteresse de Kaunas était occupée par 90 000 soldats russes, commandé par le Général Vladimir Grigoriev (70 ans). Face à eux, les Allemands alignèrent 4 Divisions aux ordres du Général Karl Litzmann et utilisèrent l’obusier Gamma Mörser d’un calibre de ….. 419 mm, tirant des obus de 886 kg jusqu’à 14 km. Au bout de 11 jours, le 17 août 1915, le Général Grigoriev s’enfuit à Vilnius sans même prévenir son chef d’Etat-major et les Allemands s’emparèrent de l’ensemble de la forteresse de Kaunas, faisant 20 000 prisonniers, saisissant 1 300 canons et 53 000 obus, sans parler de millions de rations alimentaires. Prévus pour une guerre du XIXe siècle, les forts de Kaunas n’avaient pas résisté à une artillerie du XXe siècle !  

Destructions au Fort II

Après la Première Guerre mondiale et après que la Lituanie eut regagné son indépendance le 16 février 1918, une commission ad hoc conclut à l’inutilité des forts, en raison de l’évolution des techniques militaires. L’armée lituanienne occupa les casernes et les forts furent donnés à des institutions civiles : prisons, archives centrales, hébergement pour les pauvres, et même une station radio.

Centre d’interrogation du NKVD pendant la première occupation soviétique (1940 – 1941), plusieurs forts devinrent des prisons et des lieux d’exécution pour les Juifs après l’occupation allemande (24 Juin 1941). Ce fut le cas du Fort IX où, selon les sources, entre 19 000 et 30 000 Juifs furent assassinés. Parmi eux, environ 600 des 878 Français du Convoi 73, le seul convoi, parti de Drancy le 15 Mai 1944, qui ait eu pour destination les Pays baltes. La tragique histoire du Convoi 73 fera l’objet d’un prochain post.  

Pendant la deuxième occupation soviétique, les forts servirent de casernes mais surtout de dépôts. Le Fort IX devint un musée en 1958 et un gigantesque monument (32 mètres de haut) de facture très soviétique y a été érigé en 1984.  

Le fort IX en 1916





lundi 25 avril 2016

Tchernobyl : responsabilités et hommage


Le 26 avril 1986, à 01H23 du matin, le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire Lénine de Tchernobyl, en République Socialiste Soviétique d’Ukraine, explosait. En ce trentième anniversaire, chacun y va de son article et je n’y ferai pas exception.

Pour me distinguer, je mettrais toutefois l’accent sur les responsabilités de l’accident, sur la gestion « à la soviétique » de l’accident, et sur les « liquidateurs ».

Tout d’abord, le réacteur, de type RMBK 1000, qui présentait déjà plusieurs points faibles dans sa conception, avait été construit sans respecter les normes en vigueur selon le Président du KGB à l’époque de la construction, un certain Youri Andropov.

Le 25 avril 1986, un test d’îlotage est prévu sur le réacteur n° 4. Ce test consiste à isoler le réacteur du réseau électrique externe, tout en le maintenant en puissance. Le réacteur ne produit plus alors que l’énergie électrique nécessaire à son fonctionnement. Il permet de tester l’alimentation électrique de secours permettant au réacteur de fonctionner en sécurité pendant une panne de courant.



L’accident s’est produit à la suite d’une série d’erreurs commises par les techniciens de la centrale qui, sous les ordres d’Anatoli Stepanovitch Diatlov, vice-ingénieur en chef, ont supprimé plusieurs sécurités, violant de ce fait les procédures garantissant la sécurité du réacteur. On notera en outre au passage que le directeur de la centrale,  Viktor Petrovitch Brioukhanov, n’est pas un spécialiste du nucléaire mais un ingénieur en thermodynamique. Cette méconnaissance ne lui permettra pas de prendre les bonnes décisions dans la journée du 26 avril.

Le 26 avril, la population locale, et notamment les habitants de la ville de Pripyat, à 3 km de la centrale, ne sont pas prévenus de l’accident et continuent leurs activités habituelles. 900 élèves, âgés de 10 à 17 ans, participent même ce jour-là à un marathon de la paix qui fait le tour de la centrale !

Ce n’est que le 27 avril à 14H que l’évacuation des 49 000 habitants de Pripyat commence. On leur a dit de prendre le strict minimum, leur promettant qu’ils pourraient revenir 2 à 3 jours plus tard. Ce n’est d’ailleurs que le même jour, 27 avril, que Mikhaïl Gorbatchev est officiellement informé. Encore ce rapport est-il sérieusement édulcoré.



Le 28 avril, la centrale nucléaire suédoise de Forsmark constate un niveau de radioactivité anormal venant de l’est. Contrainte par les médias occidentaux, l’Agence de tresse TASS parle le 29 avril d’un accident « de gravité moyenne survenu à la centrale nucléaire de Tchernoby » !

Il faudra attendre le 14 mai pour que Gorbatchev prononce une allocution télévisée au cours de laquelle il reconnaît l’ampleur de la catastrophe et admet des dysfonctionnements profonds.



Cette catastrophe a entraîné un bilan en pertes humaines qui est encore contesté 30 ans plus tard. On rendra un hommage particulier aux pompiers dont 15 d’entre eux, sans aucune protection, étaient à pied d’œuvre le 26 avril dès 01H28 du matin. Et aux 500 à 800 000 « liquidateurs », civils et militaires, qui participèrent au travail titanesque et funeste de consolidation et d’assainissement du site. Le nombre de morts dans leurs rangs varie de 20 000 à 100 000 !



La catastrophe de Tchernobyl a montré au grand jour les faiblesses scientifiques, techniques et de sécurité de l’URSS du « bon » M. Gorbatchev. Mais aussi l’opacité de la communication qui a certainement eu de terribles conséquences sanitaires. A contrario, ce n’est pas parce qu’il y a eu cette catastrophe, conséquence d’une mauvaise conception et d’une succession d’erreurs humaines, qu’il faut condamner l’énergie nucléaire dans son ensemble.

En plein dans l’actualité, on lira avec intérêt "Traverser Tchernobyl" de Galia Ackerman




vendredi 22 avril 2016

"Les musiciens de Brême" à Riga



Si vous avez visité Rīga, ou, dans mon cas, fait visiter Rīga, vous n’avez pas pu échapper à la statue ci-dessous. D’une façon étonnante, les gens savent souvent de quoi il s’agit.

Les musiciens de Brême à Riga

Il s’agit de la statue des « Musiciens de Brême », située entre trois églises majeures de Rīga : Saint-Pierre (la plus haute : 123,25 m), Saint Jean et Saint Georges (la plus ancienne : XIIIe siècle). Cette statue avec quatre figures d’animaux en bronze fait bien sûr référence au conte éponyme des frères Grimm.



« Les musiciens de Brême » (en allemand « Die Bremer Stadtmusikanten ») est un conte écrit par les frères Wilhelm et Jacob Grimm et publié en 1819. Un vieil âne s’enfuit de sa ferme et rencontre un chien, puis un chat et enfin un coq qui le suivent vers Brême où ils projettent de devenir musiciens de la ville. Ils avisent une maison dans la forêt, qui s’avére être un repère de brigands. Alléchés par la table chargée de mets et de boissons, les animaux élaborèrent un plan. L’âne prit appui sur le rebord de la fenêtre, le chien sauta sur son dos, le chat grimpa sur le chien et le coq se percha sur la tête du chat. Au signal, l’âne braya, le chien aboya, le chat miaula et le coq chanta, tout en se lançant dans la pièce dans un grand fracas de vitres brisées. Les voleurs, croyant qu’un esprit entrait dans la pièce, s’enfuirent terrorisés et les quatre compagnons purent s’attabler et faire bombance. Et ils s’y plurent tellement qu’ils restèrent dans la maison.

C’est la scène où le chien est monté sur le dos de l’âne, le chat sur celui du chien et le coq sur celui du chat, qui est représentée par les statues.

Les musiciens de Brême à Brême

Mais pourquoi cette statue, œuvre de l’artiste Krista Baumgaertel, réplique de celle qui se trouve à Brême ? C’est justement un cadeau de la ville de Brême, fait en 1990 par la ville allemande pour matérialiser la coopération culturelle et économique entre les deux cités. On se souviendra également qu’Albert von Buxthoeven, évêque de Livonie, fondateur mythique de Rīga, avait été auparavant prélat à Brême.

Au passage, on notera que toucher le museau de l’âne est censé porter bonheur. Mais un dicton letton prétendant que 4 fois valent mieux que 3, on remarquera que les 4 nez sont brillants (encore qu’il ne soit pas si facile que ça de toucher le bec du coq !).

La statue des musiciens de Brême n’est pas la seule référence à l’Allemagne dans Rīga. Il y a par exemple la statue de Roland devant l’hôtel de ville, installée en 1896 par la communauté allemande du pays, Roland étant le symbole de la liberté des villes médiévales. Mais c’est une autre histoire !

Roland (Riga)










mercredi 13 avril 2016

13 avril 1942 : arrivée des premiers prisonniers français à Rawa-Ruska


Rawa-Ruska est une localité située en Galicie, aujourd’hui en Ukraine. La région avait été annexée à la Pologne par le traité de Riga de 1921 et récupérée par l’URSS, alliée de l’Allemagne nazie, lors de l’invasion soviétique de la Pologne, le 17 septembre 1939.



Suite à l’attaque de l’Allemagne se retournant contre son allié soviétique, le 22 juin 1941, les Allemands établirent, sur tous les territoires conquis, des camps de prisonniers de guerre pour les Russes, camps numérotés dans la série 300.  

Au front Stalag 325 de Rawa-Ruska, créé courant juillet 1941, 18 à 20 000 prisonniers russes périrent durant les 5 premiers mois, par la famine, le manque d’hygiène et les mauvais traitements. Un second contingent de 4 000 précéda les Français de 4 mois ; seuls 400 survivaient encore à l’arrivée des Français.

A partir d’avril 1942, le camp de Rawa-Ruska (Stalag 325) recevra des prisonniers français et belges qui avaient déjà tenté de s’évader de leur Stalag. Le premier convoi, qui arrive au camp le 13 avril 1942, est constitué de 2 000 prisonniers de guerre qui proviennent de Limburg et du Stalag VI H de Düren. De même le deuxième, qui arrive le 5 mai 1942, a la même provenance. Les Français et les Belges prendront la « succession » des Russes, dans les mêmes conditions.  

C’est en effet le 21 mars 1942 que l’OKW (Oberkomando des Wehrmacht) avait signé l’ordre de transfert à Rawa Ruska de « tous les prisonniers de guerre français et belges évadés récidivistes et coupables de sabotages ou de refus de travail réitérés ». 24 à 25 000 de ces prisonniers y seront dirigés entre le mois d’avril 1942 et le début de l’année 1943.



Les prisonniers arrivaient dans le plus complet dénuement. Ils devaient subir des brimades quotidiennes, des rassemblements étaient ordonnés à n’importe quelle heure, les quantités d’aliments distribuées étaient nettement insuffisantes et d’une qualité déplorable. En raison de leur affaiblissement, les détenus étaient des proies toutes désignées pour les diverses maladies endémiques dans la région. Ils perdirent tous de 15 à 20 kg au cours des premiers mois de leur détention.   

Le camp sera fermé le 28 janvier 1943 et les prisonniers restant seront transférés à la citadelle de Lemberg (Lviv), gardant la dénomination de Stalag 325. Il est de nouveau  et transféré cette fois  à Stryj, toujours sous le nom de Stalag 325. Il restera à Stryj jusqu’à sa dissolution définitive devant l’avance de l’Armée rouge, le 13 janvier 1944. A cette date, il ne restait plus au Stalag 325 que 177 Français ou Belges. Sur plus de 1 500 000 prisonniers français internés en Allemagne, ce sont  24 à 25 000 qui furent dirigés sur Rawa-Ruska et ses sous-camps.

Feu mon père, le Dragon Louis Dutertre (31e régiment de Dragons de Lunéville), avait été fait prisonnier le 17 mai 1940 à Jeumont (Nord), donc a priori au cours de la bataille de la Sambre (16-23 mai 1940). Son registre matricule indique qu’il a été interné au Stalag VI H (Stalag pour Stammlager = camp ordinaire) qui se trouvait, de mars 1940 à octobre 1941, à Arnoldsweiler, dans les faubourgs nord de Düren, land de Nordrhein-Westfalen (entre Aachen/Aix-la-Chapelle et Köln/Cologne). Il a tenté de s’évader au moins deux fois et a été expédié à Rawa-Ruska. Je n’ai pas encore de détail sur cet internement, mais j’ai adhéré récemment à l’association « Ceux de Rawa-Ruska et leurs descendants » http://www.rawa-ruska.net/ et reconstituer le parcours de mon père dans ce camp de représailles sera une façon pour moi de lui rendre hommage.

Le Dragon Louis Dutertre, en 1937.