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jeudi 23 juillet 2020

23 juillet 1940 : la déclaration Welles




Benjamin Sumner Welles (photo) serait peut-être resté un diplomate américain relativement anonyme si, le 23 juillet 1940, Secrétaire d’État (= Ministre des Affaires Étrangères) par intérim, il n’avait signé ce qui est resté dans l’histoire comme la déclaration Welles. Revenons sur les faits et leur contexte.

Il faut d’abord évoquer la Doctrine Stimson. Du nom de Henry L. Stimson, Secrétaire d’État de 1929 à 1933, auteur d’une note du 7 janvier 1932, cette doctrine stipulait que le gouvernement fédéral des États-Unis ne reconnaîtrait pas les changements territoriaux qui auraient été imposés. Cette note visait d’abord l’invasion japonaise de la Manchourie, survenue fin 1931.

C’est cette doctrine qui est invoquée le 23 juillet 1940 par le Sous-secrétaire d’État Sumner Welles dans sa note annonçant la non-reconnaissance par les États-Unis de l’annexion des États baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie.

On rappellera que les États-Unis avaient reconnu pleinement l’indépendance de jure des trois États baltes le 26 juillet 1922. Mais ils menaient globalement une politique de neutralité et de non-intervention, le Président Franklin D. Roosevelt ne souhaitant pas mener le pays à la guerre.

Les choses allaient changer avec les protocoles secrets du Pacte Molotov – Ribbentrop (23 août 1939), qui ne seront révélés qu’en 1945, par lesquels les deux puissances totalitaires se partageaient les États baltes, l’Estonie et la Lettonie tombant dans la sphère d’influence de l’Union soviétique, la Lituanie – initialement - dans celle de l’Allemagne nazie (un protocole additionnel de septembre 1939 la fera tomber, elle aussi, dans la sphère d’influence de l’URSS).

Fin 1939 – début 1940, l’Union soviétique émit une série d’ultimatum en direction des États baltes qui conduisirent à l'occupation de ceux-ci et à leur annexion illégale en juin et juillet 1940. De pseudo élections aux « assemblées populaires » furent organisées à la mi-juillet 1940 à l’issue desquelles les listes soutenues par les soviétiques, les seules autorisées à participer, reçurent entre 92,2 % et 99,2 % des voix (les résultats parurent même 24 heures avant la clôture des « scrutins »). 

En conséquence, la Lituanie fut incorporée à l’URSS le 3 août 1940, la Lettonie le 5 août et l’Estonie le 6 août.

Mais, dès le 23 juillet 1940, Sumner Welles, qui assurait l’intérim pendant la maladie du Secrétaire d’État Cordell Hull, avait fait une proclamation, initialement rédigée par Loy Henderson, mais durcie en accord avec le Président Franklin D. Roosevelt :




Pendant 51 ans, même si elle était largement symbolique, la position officielle de la diplomatie U.S. fut que les États baltes avaient été annexés de force. Toutes les cartes américaines faisaient apparaître des États baltes souverains et, le 26 juillet 1983, 61ème anniversaire de la reconnaissance de leur indépendance par les États-Unis en 1922, le Président Ronald Reagan réitéra cette reconnaissance dans une déclaration lue à la tribune des Nations Unies.

On mesure aujourd'hui l'évolution, pas toujours positive, avec un président U.S. Donald Trump que l'on soupçonne d'être prêt à reconnaître, au moins de facto, l'occupation puis le rattachement illégal de la Crimée ukrainienne à la Russie !




vendredi 17 juillet 2020

17 Juillet 1933 : Darius et Girėnas s'écrasent après avoir traversé l’Atlantique



Il y a 80 ans, le 15 Juillet 1933, les pilotes lituaniens Steponas Darius et Stasys Girėnas quittaient l’aérodrome Floyd Bennett à New York, à 06H24 heure locale (Eastern Time Zone), pour traverser l’Atlantique à bord de leur avion « Lituanica », un Bellanca CH-300 Pacemaker.



Après avoir traversé l’Atlantique et volé avec succès pendant 6 411 km, l’avion s’est écrasé, pour des raisons qui restent indéterminées, à 636 km de sa destination, Kaunas, le 17 Juillet 1933 à 00H36 (heure de Berlin), près du village de Kuhdamm en Prusse Orientale (aujourd’hui Pszczelnik en Pologne), après 37 heures et 11 minutes de vol.  En distance, ce fut le deuxième plus long vol effectué à l’époque, en durée le quatrième. Ce fut surtout le premier vol dans l’histoire à avoir transporté du courrier transatlantique.

Le crash fut peut-être dû à des difficultés de moteur, conjugués à des problèmes météo, entraînant un atterrissage d’urgence raté. Mais certains ont évoqué la possibilité que le « Lituanica » ait été abattu, ayant été pris pour un avion espion car il volait à proximité d’un camp de concentration. A noter que toutes les pièces de l'épave de l'avion n'ont pas été rendues. 



Rapatriés par un avion allemand le 19 Juillet 1933, les corps de Darius et Girėnas furent placé en 1936 dans un mausolée du vieux cimetière de Kaunas, mausolée détruit par les soviétiques pendant leur deuxième occupation.  Ils sont aujourd’hui au cimetière militaire de Šančiai, à Kaunas. L’épave du « Lituanica » est, elle, au Musée de la Guerre.

Monument à l'emplacement du crash

En Lituanie, Steponas Darius est doublement un héro puisque c’est lui qui y aurait introduit le basket-ball, deuxième religion du pays.



mercredi 15 juillet 2020

15 juillet 1410 : bataille de Žalgiris



Même 610 ans après, la date du 15 Juillet 1410 est connue des écoliers lituaniens à l’instar de celle de la bataille de Marignan pour les écoliers français (du moins à mon époque). Il s’agit de la bataille de Žalgiris, qui a mis un coup d’arrêt aux visées expansionnistes des Chevaliers Teutoniques.

Contexte historique

L’Ordre Teutonique, installé dans la région depuis 1226, avait passé le XIVème siècle à combattre la Lituanie païenne. Mais, en 1386, la donne avait changé : le Grand-duc de Lituanie, Jogaila, s’était marié avec la princesse polonaise Edwige (Jadwiga) d’Anjou et était devenu Roi de Pologne, instituant une union personnelle entre la Pologne et la Lituanie. Mais, pour ce faire, il avait dû se faire baptiser et faire baptiser la Lituanie. En 1404, l’Ordre Teutonique et la Pologne avaient signé une paix perpétuelle.

Hedwige d'Anjou et Jogaila


Mais, en 1409, la Žemaitija (nord-ouest de la Lituanie actuelle), toujours païenne, prend les armes contre l’Ordre Teutonique qui l’occupe; l’Union Pologne-Lituanie, qui considère la Žemaitija comme une partie de son territoire, appuie sa révolte. Le 14 Août 1409, le Grand-maitre des Teutoniques, Ulrich von Jungingen, déclare la guerre à l’Etat polono-lituanien. Mais il propose également un armistice, car aucun des deux camps n’était prêt à la guerre. Celui-ci dura du 8 Octobre 1409 au 24 Juin 1410, et fut prolongé de 3 semaines, car chaque camp, comprenant l’importance capitale de la bataille à venir, regroupait ses forces. Côté Teutoniques, des chevaliers vinrent de toute l’Europe, notamment de France (on parle de 120 chevaliers), de Grande-Bretagne et des Pays-Bas. De l’autre côté des Cosaques ukrainiens, des chevaliers de Bohème, des Russes et des Tatars rejoignirent l’armée polono-lituanienne. Les Polono-Lituaniens étaient les plus nombreux (45 000 à 50 000), mais les Teutoniques (32 000 à 36 000) étaient mieux équipés et mieux entraînés.

La bataille

NB : la bataille est appelée Tannenberg par les Allemands, Grünwald par les Polonais et Žalgiris (traduction littérale de Grünwald) par les Lituaniens.



Au matin du 15 Juillet 1410, le soleil se leva vers 4H30. Mais ce n’est qu’à 8H30, alors que les Teutoniques transpiraient au soleil sous leurs cuirasses, mais que les alliées étaient, eux, à l’ombre des bois, que Jogaila accepta le combat. Celui-ci fut longtemps indécis. Le Grand-duc de Lituanie Vytautas (ci-dessous) était de facto le commandant opérationnel sur le terrain, le Roi Jogaila observant depuis une colline à l’écart.



Les Teutoniques furent prêts de l’emporter. Mais Jogaila avait gardé son infanterie en réserve et ne l’engagea qu’à six heures du soir. Les paysans polonais et lituaniens s’élancèrent fanatiquement, remplis de haine et de revanche contre ces Teutoniques qui avaient détruit leurs villages et tué leurs amis.

A 19H20, le Grand-maitre Ulrich von Jungingen fut tué. 28 000 Teutoniques et leurs aides périrent dans cette bataille, dont 50 des 60 Commandeurs de l’Ordre et 209 chevaliers. Seuls 1 400 réussirent à quitter le champ de bataille et à rejoindre leur capitale Marienburg (aujourd’hui Malbork en Pologne). Les Alliés polono-lituaniens comptèrent environ 20 000 tués, dont 12 chevaliers et les 2/3 des fantassins.

Tableau du peintre polonais Jan Matejko de 1878, « La Bataille de Grünwald » - Musée National de Varsovie


Les conséquences

Le Grand-duc Vytautas alla mettre le siège à Malbork, mais sans trop de conviction, ne voulant pas servir sur un plateau une victoire trop éclatante à son rival de toujours, Jogaila. Il se retira d’ailleurs rapidement sur son territoire de Lituanie.

La Paix de Toruń fut signée entre l’État polono-lituanien et l’Ordre teutonique le 1er Février 1411. Les pertes territoriales de l’Ordre furent relativement minimes, les Polonais et les Lituaniens récupérant toutefois la Žemaitija et une partie de la Poméranie. La rançon était par contre colossale, équivalent à 20 tonnes d’argent pur et ruina totalement le trésor teutonique pour deux siècles !

Mais surtout, le plus important est que cette victoire permit à la Pologne et à la Lituanie de ne pas subir le sort des malheureux Vieux-Prussiens, exterminés par les Teutoniques, et de conserver leur indépendance et leur culture pour les siècles à venir. Pas étonnant donc que ce qui est important en Lituanie, comme une bière ou une équipe de basket, soit baptisé du nom de Žalgiris.

Equipe de basket du Zalgiris Kaunas

Le traumatisme fut énorme côté germanique. À un point tel que, lorsque le général Paul von Hindenburg battit les Russes dans la région le 30 Août 1914, il obtient que sa victoire porte le nom de Tannenberg, afin d’effacer l’affront subi 500 ans auparavant !






lundi 13 juillet 2020

13 juillet 1870 : de la dépêche d'Ems à la Lituanie




En septembre 1868, la Reine d'Espagne Isabelle II renonce au trône pour demeurer auprès de son dernier amant ! Le chancelier prussien Otto von Bismark songe à mettre à sa place le prince de Hohenzollern-Sigmaringen. Emotion à Paris où la perspective de la guerre s'insinue dans les esprits.

Mais la modération du Roi de Prusse Guillaume 1er, à ce moment-là en cure à Ems, et de l'Empereur Napoléon III font renoncer le prince de Hohenzollern. Le 13 juillet au soir, Guillaume 1er informe l'ambassadeur de France Benedetti qu'il « considère l’affaire comme liquidée ». A Berlin, Bismark, va-t-en guerre d'abord déçu, rédige un résumé à sa manière en termes humiliants pour la France mais aussi pour l'opinion publique allemande. Le soir même, la dépêche est distribuée dans les rues de Berlin.

Otto von Bismark


A Paris, le Conseil des Ministres se réunit en urgence. Le Ministre de la guerre rappelle les réservistes. Le lendemain, Guillaume 1er signe un décret de mobilisation. Le 19 juillet 1870, la France déclare officiellement la guerre à la Prusse. Dès le 2 septembre 1870, à Sedan, l'Empereur Napoléon III capitule avec 39 généraux, 70 000 à 100 000 soldats, 419 à 650 canons, 6 000 à 10 000 chevaux, 553 pièces de campagne et de siège et 66 000 fusils. La République est proclamée le 4 septembre. Un armistice est finalement signé avec l'Empire d'Allemagne (proclamé le 18 janvier 1871) le 26 janvier 1871. On compte 509 000 combattants français prisonniers dont 420 000 détenus en Allemagne, 4 000 internés en Belgique et 85 000 en Suisse. Par le Traité de Francfort du 10 mai 1871, la France doit céder l'Alsace et la Moselle.  

Napoléon III et Bismark à Sedan
Mais la Lituanie dans tout ça ?

Jusqu'en 1923, Klaipėda s'appelait Memel et était en Prusse Orientale. Depuis 1765, il existait un plan pour relier directement la rivière Minija, affluent du Niémen et le port de Memel. Mais la construction d'un canal ne débuta qu'en 1863 et il fut baptisé König-Wilhelm-Kanal en l'honneur du Roi de Prusse Guillaume 1er, devenu Empereur d’Allemagne le 18 janvier 1871. La construction continua jusqu'en 1873, avec l'aide forcée, de 1871 à 1873, de 690 prisonniers français du camp de Smeltė, aujourd'hui un faubourg de Klaipėda. Près d’une soixantaine d’entre eux seraient morts durant les travaux. Le canal a été ouvert le 17 septembre 1873.

Le mardi 16 juin 2020 , une cérémonie franco-germano-lituanienne a eu lieu à Klaipėda, seul port lituanien sur la Mer Baltique, au monument à la mémoire des 690 prisonniers français de la guerre franco-prussienne de 1870.

Cette cérémonie s'inscrivait dans le cadre de l'action du Souvenir Français qui a voulu, en cette période du 150ème anniversaire de la guerre de 1870, mettre en exergue ce conflit largement oublié. Or, au vu du niveau des autorités présentes à la cérémonie du 16 juin (Mme l’Ambassadrice de France, Mme Claire Lignières-Counathe , M. l’ambassadeur d’Allemagne, M. Matthias Sonn, le maire-adjoint de Klaipėda, M. Arvydas Cesiulis, l’Amiral Arūnas Mockus, commandant les forces navales lituaniennes), il s'avère que cette guerre, du moins ses conséquences, n'a pas été oubliée sur les rivages lituaniens de la Baltique.

Cérémonie à Klaipeda