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vendredi 24 mai 2019

22 - 27 Mai 1948 : déportation de 40 000 Lituaniens en URSS



Wagon servant à transporter les déportés (Naujoji Vilnia)

Dès la « libération » de l’Europe de l’est par les soviétiques, ceux-ci arrêtèrent et déportèrent des centaines de milliers de collaborateurs, réels ou présumés, et de combattants luttant les armes à la main contre l’occupation soviétique. De même, les familles de ces résistants, principalement ukrainiens et baltes, que les soviétiques désignaient comme des « bandits », furent déportées dans des villages de peuplement en Sibérie et dans le Grand Nord. De fait, à partir de 1945, furent arrêtés et déportées dans toute l’Europe centrale et orientale toutes les personnes pouvant constituer un obstacle à la mise en place de régimes pro-soviétiques.

En Lituanie, entre 1945 et 1952, ce sont environ 130 000 personnes (sans compter les partisans), dont 70 % de femmes et d’enfants, qui ont été déportés dans des camps de travail forcé, dans des coins reculés de l’URSS. Environ 28 000 y moururent, dont un quart d’enfants (moins de 16 ans). Les derniers ne revinrent qu’en 1959.   

La plus importante des déportations depuis la Lituanie s’est déroulée du 22 au 27 Mai 1948. C’est l’opération « Vesna » (« Printemps »). Elle a concerné 40 002 personnes (chiffres officiels du MVD et du MGB) dont 11 066 enfants. Elle a pour caractéristique de ne concerner que la Lituanie, sans doute parce que la résistance à l’occupation soviétique y était la plus forte. Les personnes étaient « évidemment » déportées sans pré alerte, sans procès et même sans raison apparente. 

"Maisons" de déportés à Kolyma
  
Si cette nouvelle vague de terreur touchait toujours les familles des résistants, elle a coïncidé avec l’introduction de la collectivisation, laquelle imposait aux paysans qu’ils donnent leurs terres, leur bétail et leur matériel à une ferme collective, le kolkhoze. Très peu de paysans rejoignirent volontairement le procédé, puisqu'ils devaient abandonner leur propriété privée pour rejoindre un état proche de la servitude.

« Vesna » sera suivie d’une autre grande déportation, « Priboi » (25 – 28 Mars 1949), qui concernera cette fois les trois Républiques baltes. En Lituanie, 25 951 personnes seront déportées, mais ce sera la Lettonie qui cette fois, avec 41 811 déportés, sera la plus touchée. Il y aura encore l’opération « Osen » (2 – 3 Octobre 1951) qui concernera 16 150 déportés de Lituanie.



Les déportations remplirent apparemment leur rôle quand on voit la progression du pourcentage de fermes collectives par rapport à l’ensemble : 0,08 % en 1948, 3,9 % en 1949, 60,5 % en 1950, 98,8 % en 1953.  

Les derniers déportés (359) partiront les 5 – 6 Août 1952. Après la mort de Staline, le retour des déportés, notamment Lituaniens et Ukrainiens, ne se fera que très lentement et, au 1er Janvier  1959, 4 900 Lituaniens étaient encore déportés.  
      
Au-delà de la sécheresse des chiffres, il est impossible de trouver aujourd’hui une famille en Lituanie qui n’ait pas eu de déporté. Leur rendre hommage a été une des premières revendications lituaniennes de l’ère Gorbatchev. Et certains Lituaniens pensent que la Russie, héritière assumée de l’Union soviétique, devrait payer une compensation pour ce travail imposé d’esclave, tout comme l’Allemagne Fédérale a payé, à partir d’Août 2000, une compensation pour le travail forcé dans l’Allemagne nazie.  





mardi 14 mai 2019

14 Mai 1972 : Romas Kalanta s’immole par le feu à Kaunas



Le 14 Mai 1972, à midi, le jeune étudiant de 19 ans (né le 22 Février 1953), Romas Kalanta, s’arrose de 3 litres d’essence et met le feu à ses vêtements. L’événement se déroule à Kaunas, près de Laisvės alėja (Allée de la Liberté), sur la place devant le Théâtre de musique. Le geste de Romas Kalanta avait pour but de protester contre l’occupation de la Lituanie. A côté de lui, il avait déposé un carnet dont le contenu n’a été révélé qu’au retour à l’indépendance en 1990, après l’ouverture des archives du KGB. Il y était inscrit « Dėl mano mirties kaltinkite tik santvarką » (Seul le régime est responsable de ma mort) :



L’endroit n’avait pas été choisi par hasard. C’est en effet dans ce théâtre que, le 21 Juillet 1940, le « Seimas du peuple », parlement fantoche issu d’élections truquées pour légitimer l’occupation et l’annexion de la Lituanie par l’URSS, décida par acclamation de la création de la République Socialiste Soviétique de la Lituanie et demanda son admission dans l’Union Soviétique.

Le régime soviétique tenta d’étouffer l’incident, mais la nouvelle se diffusa de bouche à oreille. Le 18 Mai, les obsèques de Romas Kalanta furent avancées de plusieurs heures afin d’éviter de leur donner une trop grande publicité, mais cette initiative eut l’effet inverse. Le lendemain, 3 000 personnes défilèrent sur Laisvės alėja et 402 d’entre elles furent arrêtées, dont la moitié avait moins de 20 ans. Ces jeunes furent accusés de hooliganisme, terme encore en vigueur dans la Russie actuelle, et parmi eux 8 furent condamnés à 1 ou 2 ans de prison.

La tension resta très vive à Kaunas et le KGB enregistra 3 à 4 fois plus d’incidents anti-soviétiques dans les années 1972–1973. Pendant cette période, 13 autres Lituaniens se suicidèrent par le feu à travers toute la Lituanie.

Ces événements ne furent pas connus en Occident, tant l’URSS était un État-prison, et ils n’eurent pas le retentissement que le même geste de Jan Palach, le 16 Janvier 1969 à Prague, eut à l’ouest. Il y a malheureusement fort à parier que le 47ème anniversaire de ce geste, désespéré mais héroïque, ne recueillera pas, pas plus que dans le passé, une ligne dans les médias français.

Mémorial Romas Kalanta à Kaunas