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vendredi 21 mai 2021

Romain Gary : naissance et jeunesse à Vilnius

 


Le Capitaine Romain Gary (2ème en partant de la droite), Légion d'Honneur, Compagnon de la Libération


Le 21 mai 1914, il y a donc 107 ans, naissait l’écrivain Romain Gary. Héros de la France libre, Compagnon de la Libération, Commandeur de la Légion d’Honneur, Consul de France à Los Angeles, deux fois Prix Goncourt sous deux identités différentes, peu de gens savent qu'il était né et qu'il avait passé sa jeunesse à Vilnius.

C’est effectivement le 21 mai 1914 du calendrier grégorien qu’est né à Vilnius, alors ville de l'empire russe, Roman Kacew. Roman puis Romain, qui ne deviendra Romain Gary qu’en 1943. Mais aussi Emile Ajar, Shatan Bogat, Fosco Sinibaldi ……  Car, durant sa vie d’adulte, Romain Gary jouera constamment avec plusieurs versions de ses origines. Essayons d’y voir clair.

Roman Kacew est issu de deux lignées de Juifs ashkénazes. Son père, Arieh-Leib Kacew était un fourreur né à Vilnius en 1883, par ailleurs administrateur d’une synagogue. Sa mère, Mina Owczyńska était née à Švenčionys en 1879. Ses parents se sont mariés à Vilnius le 28 août 1912. En 1914, Arieh-Leib et Mina Kacew sont de nationalité russe, avant de devenir polonais en 1920, quand la Pologne occupera militairement la région de Vilnius.

Le père est mobilisé pendant la guerre dans l’armée russe, Mina et Roman quittent Vilnius pour s’installer quelques mois à Švenčionys. La mesure d’expulsion des Juifs de la zone de front les oblige à partir en Russie intérieure, mais les informations sur cette période sont contradictoires. Finalement ils reviennent à Vilnius en septembre 1921, sans doute suite à la paix de Riga (18 mars 1921) signée entre la Pologne et les bolcheviques. Ils vont résider pendant plusieurs années au 16 de la rue Wielka Pohulanka, aujourd’hui rue Basanavičius, appartement n° 4.

Romain Gary jeune


Romain Gary racontera cette jeunesse à Vilnius (qu’il appelle Wilno, à la polonaise) dans la première partie de La promesse de l’aube (1960). Le récit se veut autobiographique, mais certains passages relèvent plus de la fiction que du vécu. Mais le plus important est qu’il rend hommage à sa mère qui croit en un destin extraordinaire pour son fils : « Tu seras un héros, tu seras général ….. Ambassadeur de France ». Il y arrivera presque !   

C’est d’ailleurs une scène de La promesse de l’aube qu’illustre la statue de Romas Kvintas dédiée à Gary, en face du 16 Basanavičius où il a habité. La statue (ci-dessous), inaugurée en 2007, représente le jeune Roman, âgé de 9 ans, s’apprêtant à manger une chaussure pour séduire sa petite voisine, Valentina ……  

Pour mémoire, c'est le 23 août 1928 que Roman et sa mère arriveront en France et s'installeront chez le frère de celle-ci, Eliasz, à Nice.




samedi 15 mai 2021

15 mai 1944 : le convoi 73 quitte Drancy

 

"Nous sommes 900 Français" gravé dans le mur du Fort IX de Kaunas


Entre mars 1942 et août 1944, 79 convois de déportation ont quitté la France, généralement Drancy, pour les camps. Ils étaient composés de personnes présumées de religion, d’appartenance ou d’ascendance juive. Un seul, le convoi 73 s’est dirigé vers les États baltes. A ce jour, on ignore toujours la raison pour laquelle ce train  a été dirigé vers cette destination "non conventionnelle" et on l’ignorera, sauf surprise, sans doute toujours. 

Ce convoi 73, constitué de 15 wagons à bestiaux, a quitté Drancy le 15 Mai 1944. Il avait pour caractéristique de ne comporter que des hommes dans la force de l’âge, entre 12 et 66 ans, en tout 878 dont 38 adolescents. Au départ, il leur avait été dit qu’ils allaient travailler pour l’organisation Todt, groupe de génie civil et militaire allemand chargé de la réalisation de constructions, civiles comme militaires, en Allemagne et dans les pays occupés. En fait, le convoi s’est d’abord dirigé vers la Lituanie qu’il atteint après trois jours d’un voyage éprouvant, le 18 mai 1944.

Dix des quinze wagons sont restés à Kaunas, et ce sont environ 600 hommes qui ont été dirigés vers le IXe Fort puis, peu de temps après, vers le camp de travail de Pravieniškės, à une vingtaine de kilomètres de Kaunas. Ils furent soumis au travail forcé avant d’être exécutés par groupes dans la forêt. Les cinq autres wagons ont continué jusqu’à Reval, aujourd’hui Tallinn, et les déportés ont d’abord été internés à la prison de Patarei, puis utilisés à réparer les pistes du terrain d’aviation de Lasnamaë. Ils furent là aussi assassinés dans leur grande majorité. 

Le Fort IX de Kaunas, avec au fond le monument soviétique


Après la guerre, les Allemands n’ont pas donné d’explication formelle quant à cette destination exceptionnelle. Une « erreur d’aiguillage » étant peu vraisemblable, une des théories serait que les Allemands aient fait venir des « brûleurs de cadavres » ne parlant pas la langue locale, de façon à ce qu’aucun témoignage ne puisse filtrer sur les exactions qui se déroulaient au fort.

(Sur la ceinture de forts autour de Kaunas et en particulier le Fort IX, voir également http://gillesenlettonie.blogspot.fr/2016/04/la-ceinture-de-forts-autour-de-kaunas.html)

La "Salle des Français" au Fort IX de Kaunas


Seuls 22 des 878 hommes du Convoi 73 ont survécu après la guerre, et ont pu rentrer en France en Mai 1945. Parmi les victimes, on compte le père et le frère de Madame Simone Veil, elle-même déportée à l’âge de 16 ans à Auschwitz-Birkenau. Le pire est que les familles ignorent où leur parent a été exécuté. Il reste aujourd’hui un survivant, M. Henri Zajdenwergier qui avait 16 ans en 1944.

M. Henri Zajdenwergier avec M. Edouard Philippe, alors Premier Ministre, à Tallinn


En dépit de la pandémie, une cérémonie commémorative, en mémoire de ceux du Convoi 73, aura lieu ce samedi 15 mai, à 11H00 devant le wagon-témoin de la Cité de la Muette à DRANCY (93700). L’Association des Familles et Amis des Déportés du Convoi 73 organise (en temps normal) tous les deux ans un voyage de mémoire en Lituanie et en Estonie. Pour en savoir plus, consultez le site des Familles et Amis des Déportés du Convoi 73 http://www.convoi73.fr/   



jeudi 13 mai 2021

10 mai 1871 : Traité de Francfort

 

Il y a 150 ans, le 10 mai 1871, Jules Favre et Adolphe Thiers concluent au nom de la France un traité de paix avec l'Allemagne à l'hôtel du Cygne (« Zum Schwan »), à Francfort. Ce traité met fin à la guerre franco-prussienne commencée le 19 juillet 1870.

Paris était assiégé par les troupes allemandes depuis le 17 septembre 1870. Une n ième tentative de sortie des troupes assiégées, dite seconde bataille de Buzenval, conduite le 19 janvier 1871 par le Général Trochu, gouverneur militaire de Paris, se solde par un échec sanglant. Le gouvernement provisoire choisit de réprimer les Parisiens les plus bellicistes et décide de demander un armistice aux Allemands. Le 23 janvier 1871 Jules Favre, Ministre des Affaires Étrangères rencontre à Versailles le Chancelier allemand Otto von Bismarck.

L'armistice est signé le 26 janvier, prolongé le 19 février jusqu'au 26 février, date à laquelle est signé le traité préliminaire de paix à Versailles. D'ores et déjà, les Allemands exigent la cession de l'Alsace et le versement d'une indemnité de guerre de 5 milliards de francs. (Rappel : l'Empire allemand avait été proclamé dans la galerie des glaces le 18 janvier 1871).

Les discussions se poursuivent à Bruxelles puis à Francfort, mais l'essentiel était déjà contenu dans l'accord du 26 février. Côté français, c'est Jules Favre qui est chargé de les mener.

Bismarck et Jules Favre

Les principales dispositions arrêtées sont les suivantes :

# Annexion (l'Allemagne parle de « retour » de l'Allemagne et d'une partie de la Lorraine par l'Allemagne. Bismarck refuse la consultation des populations …….. La France perd 14 470 km² et 1 597 000 habitants. Les Alsaciens-Lorrains qui veulent garder la nationalité française doivent quitter la région avant le 1er octobre 1872.



# La France doit verser en trois ans une indemnité de guerre de cinq milliards de francs-or. En gage de ce paiement, les Allemands occuperont 6 département du nord et Belfort. Le gouvernement, dirigé par Thiers, lancent plusieurs emprunts qui sont un succès. Les derniers à être libérés le seront en septembre 1873.

# La France doit accorder à l'Allemagne la clause de la nation la plus favorisée pour le commerce et la navigation.



La Lituanie d'aujourd'hui est concernée à la marge par ce conflit. A la fin janvier 1871, 371 981 soldats et 11 810 officiers français sont prisonniers en Allemagne, certains dans le Memelland (aujourd'hui territoire lituanien de Klaipėda), partie du Royaume de Prusse. Il est généralement admis que le nombre de prisonniers français à Memel était de 690. 590 auraient été répartis entre Smeltė (aujourd'hui faubourg de Klaipėda à proximité du terminal des ferries internationaux), et Alksnynė (sur la presqu'île de Neringa, à proximité du poste de péage) où il est avéré que des prisonniers français ont construit des baraques en bois.

Les prisonniers auraient été employés à deux types de travaux : Le maintien et le reboisement des dunes de la presqu'ile de Neringa. Et la fin de la construction du König-Wilhelm-Kanal, ouvert le 17 septembre 1873. Ce canal relie la Minija, affluent du Niémen, et le port de Memel/Klaipėda, permettant de contourner la lagune des Coures (Kuršių Marios) parfois agitée.

L’article 6 des préliminaires de paix du 26 février 1871 prévoit la libération des prisonniers. Mais les retours sont lents, puis suspendus jusqu'au Traité de Francfort. A cette date, il reste au total 138 000 prisonniers. Le rapatriement s’achève le 16 août 1871 sauf pour des condamnés de droit commun pour avoir attaqué ou blessé des allemands. Ceux-ci rentreront en 1872. Il semble donc que le panneau au sommet de la dune de Parnidis, dans la presqu'île de Neringa, indiquant que des prisonniers aient travaillés sur le König-Wilhelm-Kanal, soit erroné.

A Klaipėda, la stèle à la mémoire des prisonniers français morts pendant cette période (a priori 6 prisonniers) doit être déplacée à l'été 2021 pour permettre l'extension du port.




mardi 4 mai 2021

4 Mai 1990: rétablissement de l’indépendance de la Lettonie

 


La Lettonie avait proclamé son indépendance le 18 novembre 1918, peu de temps après la fin de la Première Guerre mondiale. Mais elle dut combattre pendant près de deux ans pour que celle-ci fut effective. Le premier État à reconnaître cette indépendance fut la Russie soviétique, à travers un Traité de paix signé le 11 août 1920 (Le Conseil des grandes puissances ne reconnaîtra de jure cette indépendance que le 26 janvier 1921).

Le 17 juin 1940, l’Union soviétique envahit la Lettonie, en vertu du pacte Molotov–Ribbentrop du 23 août 1939 qui scellait l'alliance militaire des deux prédateurs du XXe siècle. Ce faisant, l'URSS non seulement violait la déclaration de neutralité lettone du 1er septembre 1939, mais aussi le Traité de non-agression soviéto–letton du 5 février 1932. Cette occupation de juin 1940, toujours non reconnue par la Russie d’aujourd’hui, allait sceller le destin de la Lettonie et des trois États Baltes pour les 50 années qui suivirent !

La « révolution chantante » allait, à partir de 1987, permettre aux trois États Baltes de retrouver leur indépendance. En Lettonie, le groupe « Helsinki 86 » (en référence aux accords d’Helsinki du 1er août 1975 qui reconnaissaient le droit des peuples à l’autodétermination) organisa la première grande manifestation en 1987 pour commémorer les déportations massives du 14 juin 1941. Le 18 novembre 1988, c’est la célébration du 70e anniversaire de l’indépendance lettone, autour du monument de la Liberté. Après la chaîne humaine de 2 millions de Baltes entre Vilnius et Tallinn, via Riga, pour protester contre l’accord Molotov-Ribbentrop, le 23 août 1989, ce furent 500 000 Lettons (soit près d’un quart de la population lettone !) qui se réunit le 18 novembre 1989 sur les bords de la Daugava à Riga pour célébrer le Jour de l’Indépendance.



Au cours des premières élections démocratiques tenues sous le régime soviétique en 1990, le Front Populaire Letton remporta la majorité absolue des sièges et le Soviet suprême, devenu le Conseil suprême, suivant l’exemple déjà donné par la Lituanie (11 mars 1990), déclara, le 4 mai 1990, le retour à l’indépendance de la Lettonie et la réinstauration de la Constitution du 15 février 1922 (entrée en vigueur le 7 novembre 1922). Mais, contrairement à la Lituanie, cette déclaration restaurant l’indépendance s’accompagnait d’une période de transition. Le 21 août 1991, après l’étrange putsch de Moscou, le Parlement vota la fin de la période transitoire et réinstaura ainsi de facto l’indépendance d’avant-guerre de la Lettonie. Cette indépendance fut reconnue par l’URSS en Septembre 1991, mais en tant qu’indépendance d’un nouvel État, ce qui permettait de passer sous silence l’illégalité de l’occupation de 1940 à 1991.