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lundi 18 octobre 2010

Feld-maréchal Michael Bogdanovitch, Prince Barclay de Tolly



A mes yeux (mais heureusement pas qu’aux miens), le vainqueur de Napoléon pendant la Campagne de Russie de 1812 ce n’est pas le « général hiver », c’est encore moins (en dépit de l’hagiographie officielle russe) le Maréchal Koutouzov, mais le Maréchal Michel Barclay de Tolly (1761 – 1818, ci-dessous, devant Paris en 1814).

(NB : toutes les dates du présent post sont données suivant le calendrier grégorien, c’est-à-dire actuel). 

Les origines de la famille Barclay remonteraient au XIe siècle en Ecosse. C’est Johann Stephan Barclay qui s’installe à Riga en 1664 (en raison de la répression menée en Angleterre par Cromwell), est admis au barreau de Riga et signe alors Johann Barclay de Tolli. Michel, quatrième génération des Barclay en Livonie, est né le 24 Décembre 1761 au domaine de Pamušis, aujourd’hui en Lituanie, mais son père, admis dans la noblesse russe, ayant des problèmes financiers, il est envoyé dès l’âge de 3 ans chez une tante maternelle à St Petersbourg. 

Comme il était d’usage dans la noblesse, il est inscrit à 6 ans dans un régiment de Cuirassiers. Il rejoint de facto le service actif à l’âge de 15 ans, au régiment de Fusiliers de Pskov, et, à 17 ans (1778), il est promu cornette (officier le moins gradé de chaque escadron dans la cavalerie).    

Par la suite il s’illustrera contre les Turcs (notamment à la bataille d’Ochakov – 17 Décembre 1788), puis en Finlande du nord (1790) et prendra part aux campagnes de 1792 et 1794 contre les Polono-Lituaniens de Tadeusz Kościuszko. Il reçoit même l’Ordre de St-Georges 4e classe pour une action décisive lors de la prise de Vilna (Vilnius).
Le 25 Mars 1799, Michel Barclay de Tolly est nommé Major-Général. Il est le 2 Décembre 1805 à Austerlitz où le Tsar Alexandre 1er accuse Koutouzov de couardise et de « passion pour la retraite ». Barclay, par contre, s’illustre à la bataille de Pultusk (26 Décembre 1806) et à celle d’Eylau (7-8 Février 1807), où Napoléon demande le nom de ce général « qui barre sa route avec tant de courage et une telle parfaite compétence ».  

Blessé à Eylau, Barclay est en convalescence à Memel (l’actuelle Klaipėda) et y reçoit, début Avril 1807, la visite du Tsar. C’est le tournant de sa carrière. Car, ayant eu le temps de réfléchir pendant sa convalescence, il expose, sans la flatterie habituelle de l’entourage du Tsar, son plan pour attirer Napoléon dans les profondeurs de la Russie, de plus en plus loin de ses bases, ne lui infligeant que de brefs engagements mais un maximum de harcèlement, lui faisant consommer ses stocks, avant de lui infliger un « nouveau Poltava », grâce à une armée russe bien préservée et avec l’aide du climat.  

Mais, le 14 Juin 1807, c’est la défaite de Bennigsen à Friedland, qui oblige Alexandre à la rencontre avec Napoléon à Tilsit, puis à la signature du traité de Tilsit le 7 Juillet 1807. Barclay va alors partir  s’illustrer en Finlande (1808 – 1809), traversant à pied avec ses troupes le golfe de Botnie gelé, entre la Finlande et la Suède. A la mi-Avril 1809, il est nommé, à 47 ans, à la fois Commandant en chef et Gouverneur général du Grand-duché de Finlande, devenu russe jusqu’en 1917.

Lorsqu’éclate la campagne de Russie, Barclay est Ministre de la Guerre depuis le 13 Janvier 1810 et a eu le temps de restructurer l’armée russe, de faire des propositions pour la défense des frontières de l’ouest et de s’intéresser au renseignement. Le Tsar signe son « Règlement » (qui restera en vigueur jusque dans les années 1860) le 8 Février 1812. Le 12 Avril, le Tsar nomme Barclay commandant de la 1ère Armée de l’ouest (en plus de sa charge de Ministre).

La suite est mieux connue. La Grande Armée franchit le Niémen dans la nuit du 23 au 24 Juin 1812. Conformément au plan Barclay, l’armée russe (qui, à partir du 17 Juillet, n’a plus de commandement unifié, le Tsar Alexandre ayant quitté le théâtre) se dérobe. A Vitebsk (26 Juillet), la Grande Armée avait déjà perdu 100 000 hommes. Mais, avec l’abandon de Smolensk (17 Aout), la révolte gronde chez les alter egos (Bagration) et les subordonnés de Barclay (Grand-duc Constantin). On accuse même celui-ci de traitrise puisque Livonien et parlant avec un accent allemand …… Finalement le Tsar, pressé par son entourage et ébranlé par l’entreprise de dénigrement vis-à-vis de Barclay, nomme le vieux Maréchal Koutouzov pour prendre le commandement général (avec le encore plus vieux Bennigsen comme Chef d’Etat-major) et remplace Barclay par Gortchakov comme Ministre de la guerre (27 Aout). 

A la bataille de Borodino (7 Septembre, appelée bataille de la Moskova par les Français), Koutousov (« décrépit et fatigué ») et Bennigsen font de grosses erreurs de commandement et ce sont Barclay (1ère Armée) et Bagration (2ème Armée), réconciliés, qui sauvent la situation. Après la bataille, Koutouzov tient un conseil de guerre à Fili et décide …… de continuer à reculer, en abandonnant Moscou. Mais, dans le même temps, Bagration ayant été mortellement blessé à Borodino, Koutouzov décide d’amalgamer les 1ère et 2ème Armées, aux ordres du remplaçant de Bagration. Mortifié et malade, Barclay demande (et obtient) une permission de maladie (30 Septembre). Il sera de retour sur ses terres de Beckhof (aujourd’hui Jōgeveste en Estonie, près de Valga / Valka) le 24 Novembre 1812.  

Mais, mis au courant de la réalité des faits, le Tsar lui-même restaure l’honneur d’homme et de soldat de Barclay de Tolly. Celui-ci, recevant le commandement de la 3ème Armée le 18 Février 1813, s’illustrera de nouveau en prenant la forteresse de Thorn (début Avril 1813) et sera nommé, le 31 Mai 1813, Commandant en chef de toutes les armées ; brusquement, il devient très à la mode d’être pro-Barclay ! Il dirige la prise de Paris le 30 Mars 1814, jour même où le Tsar le nomme Feld-maréchal

L’apothéose surviendra le 7 septembre 1814 où, à l’occasion de la grande parade de la victoire à Vertus, en Champagne (sud d’Epernay), il sera nommé Kniaz, titre de Prince en principe réservé aux vieilles familles (comme, par exemple, les Bagration). Comme devise, il choisit « Loyauté et patience ». 

Malade, du fait de toutes les souffrances physiques, et peut-être morales, endurées, il meurt le 23 Mai 1818 près d’Insterburg (Prusse orientale) alors qu’il se rendait aux eaux en Bohême. Premier prévenu, le Roi de Prusse Fréderic Guillaume III lui fait donner une escorte d’honneur. Le cortège funèbre atteint Riga le 11 Juin, où une cérémonie militaire a lieu avant l’inhumation provisoire dans l’église luthérienne St Jacques (actuelle cathédrale catholique St Jacques).  Il sera ré-inhumé en 1823 dans un mausolée situé près de son domaine de Beckhof / Jōgeveste (ci-dessous). Son cœur est supposé être enterré près du lieu de son décès. 



9 commentaires:

  1. En voilà un très beau exposé très détaillé, merci, Gilles.
    Mais dites moi : "So cœur est supposé être enterré près du lieu de son décès", on lui a arraché le coeur avant de l'enterrer?!

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    1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    2. Son cœur a vraiment été enlevé de son corps avant son enterrement ???

      Sur ce très bon récit sur MB de Tolly.

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  2. Mes lectures (notamment "The Commander: A life of Barclay de Tolly" de Michael et Diana Josselson) ne sont pas allees si loin dans le detail et ne precisent donc pas comment la separation s'est effectuee.

    Ceci dit, ce ne serait pas une exclusivite: le corps de Józef Piłsudski est au Wawel et son coeur a Vilnius.....

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  3. Merci Gilles pour ce post historique très intéressant ,j'ai appris plein de choses !

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  4. Il était très commun à l'époque de retirer le coeur des personnages importants. On connaît tous l'histoire du coeur de Louis XVII par exemple...ceci dit Wikipédia dit que son coeur repose près de son manoir à Helme au sud de l'Estonie ou il était juste avant son départ pour les cures qui entraina sa mort dans l'actuel oblast de Kaliningrad. Son coeur seraot donc non loin de son corps ( Dernieres volontés du mourrant ?). Peut etre que wikipédia et votre livre divergent là dessus ?

    La Russie a toujours eu du mal à écouter ses officiers compétents tout au long de son histoire...
    Néanmoins, des erreurs de Napoléon ou des bonnes idées de Barclay de Tolly, je ne sais pas lesquelles des deux doit on privilégier pour le désastre de Russie.

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  5. @Gilles: Est-ce que la séparation corps/coeur a une signification particulière?

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  6. @ Clement

    Sans la rejeter, j'ai une certaine tendance a me mefier de Wikipedia quand on sait comment cette "encyclopedie" est faite.

    Par exemple, dans l'article sur Barclay de Tolly, il est parle avec recurrence de Frederic Guillaume II de Prusse, notamment qui aurait fait rendre les honneurs a la depouille de Barclay (mort en 1818). Or ce souverain est lui-meme mort en ... 1797. Il s'agit bien entendu de Frederic Guillaume III.

    (NB: a 300 metres du Mausolee de Michel Barclay de Tolly, c'est son fils, Ernst Magnus, qui est enterre, car il ne se jugeait pas digne d'etre au meme endroit que son glorieux pere.)

    Bien sur, on peut juger apres coup que Napoleon, et c'est indeniable, a fait des erreurs pendant cette campagne, qu'il est reste trop longtemps ici ou la, qu'il a toujours cru qu'Alexandre allait demander la paix, qu'il n'a jamais voulu considerer le Tsar comme reel ennemi, etc.....

    Mais, celui qui a eu l'idee d'attirer la Grande Armee dans les profondeurs de la Russie (et c'est ce que j'ai souligne en l'encadrant), et ce des 1807, c'est bel et bien Barclay. Ce en depit de l'entourage du Tsar qui voulait l'offensive car "un vrai Russe ne recule pas", sous-entendant qu'etant Livonien ....... Et Barclay ne s'est pas contente d'avoir l'idee; en tant que Ministre de la Guerre, il a reforme l'armee russe pour la preparer a la revanche.

    On porte au pinacle Koutouzov (le vaincu d'Austerlitz), j'ai voulu modestement retablir une verite historique. Vous aurez compris que, bien qu'etant admirateur de Napoleon, j'ai une affection particuliere pour Barclay de Tolly !

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  7. @ Nikasto

    Dans le cas de Barclay de Tolly, je ne connais pas la raison particuliere de cette separation du corps et du coeur. Peut-etre est-ce pour honorer particulierement la Prusse, ou Barclay est decede et qu'il avait aussi bien servie que la Russie a partir de 1813.

    Mais je pense qu'on ne peut peut-etre pas generaliser.

    Dans le cas de Louis XVII, le coeur a ete conserve par le chirurgien Pelletan avant que le corps ne soit passe a la chaux vive ..... Dans le cas de Piłsudski, le corps est honore "officiellement" au Wawel (Carcovie) alors que le coeur est a Vilnius aupres de sa mere, ce qui permet en outre d'evoquer quelque part le "passe polonais" de la capitale lituanienne.

    Mais de la a donner une signification generalisee, voire de style philosophique, je l'ignore.

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